L'OCDE, qui mène ces travaux en coopération avec le G20, a formulé des recommandations qui, si elles sont mises en oeuvre par les Etats, éviteront que des géants comme Google puissent transférer leurs bénéfices vers des paradis fiscaux.

L'organisation, qui a piloté avec un certain succès ces dernières années la lutte contre l'évasion et la fraude fiscale par les particuliers, s'attaque donc à un chantier d'ampleur : créer un "terrain de jeu équitable" où chacun prendra sa "juste part" de l'effort, a dit Angel Gurria, son secrétaire général.

L'Union européenne et les Etats-Unis estiment que l'évasion fiscale par les entreprises et les particuliers fait perdre aux Etats plusieurs centaines de milliards d'euros chaque année, par le biais de transferts vers des comptes off-shore notamment.

"L'évasion, l'évitement fiscal privent les gouvernements de ressources précieuses", a dit Angel Gurria lors d'une conférence de presse, rappelant qu'il n'était pas question de fraude mais de failles dont profitent les sociétés. "Le système a créé des vides et une double non-taxation (...) Aussi je suis ravi de vous annoncer le début de la fin de ces pratiques."

Les premières recommandations, qui portent sur la mise en cohérence de l'imposition des bénéfices, la prise en compte du pays d'activité dans l'imposition ou l'amélioration de la transparence, ont été approuvées par les pays du G20.

Ces mesures seront suivies d'une nouvelle vague d'ici fin 2015, date à laquelle l'OCDE aura dévoilé l'ensemble du plan d'action convenu l'année dernière avec les vingt premières puissances économiques mondiales, lorsque les médias et des élus se sont emparés du sujet.

C'est seulement à ce moment-là que les Etats devraient traduire les instruments proposés dans leur droit national.

NEUTRALISER LES TRANSFERTS INTRA-GROUPES

Amazon ou Google devraient alors être particulièrement touchés, d'autant que la croissance de l'économie numérique est une préoccupation majeure, mais beaucoup de secteurs - pharmacie ou biens de consommation - seront concernés.

Si les travaux de l'OCDE sur l'imposition des sociétés ont surtout visé depuis un demi-siècle à éviter que les entreprises soient doublement taxées sur les mêmes bénéfices, à travers un modèle de traité fiscal qui permet de répartir les bénéfices, les sociétés ont su exploiter toutes les failles.

Google, par exemple, peut transférer chaque année en toute légalité plus de huit milliards de dollars de profits d'Europe et d'Asie vers une filiale dont l'établissement fiscal est aux Bermudes, où il ne paie aucun impôt, au motif que celle-ci est propriétaire de brevets.

Les recommandations de l'OCDE conduiront à réviser le modèle de traité afin que les transactions transnationales soient exclues des dispositifs prévus par les traités fiscaux si le motif principal de la transaction est d'échapper à l'impôt.

"Nous neutraliserons les 'cash boxes' où sont détenus quelque 2.000 milliards de dollars", a assuré Angel Gurria.

Il s'agit, selon Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscale de l'OCDE, de "mettre fin à la double non-imposition", qui s'est substituée dans certaines sociétés au risque de la double imposition.

L'obligation d'établir un rapport d'activité pays par pays ("country by country reporting"), dont l'OCDE se dit certaine qu'elle sera inscrite dans la loi, doit permettre de faire coïncider plus justement activité et imposition.

L'OCDE entend également résorber les failles dues aux échanges intragroupes, quand une filiale installée dans un paradis fiscal réalise tout ou partie d'une activité, comme les achats, pour l'ensemble du groupe.

PRÉSENCE NUMÉRIQUE SIGNIFICATIVE

A titre d'exemple, le groupe de téléphonie Vodafone a une centrale d'achats d'équipements au Luxembourg, où elle n'est pas imposée sur ses bénéfices. L'année dernière, cette filiale, qui compte 200 employés à peine, a généré plus de 400 millions d'euros de profits.

Il s'agira notamment de corriger les "prix de transfert", c'est-à-dire le prix auquel la filiale revend les biens ou services aux autres unités du groupe, pour les aligner sur les prix du marché, ou prix de libre concurrence, et les rendre conformes à la valeur créée.

L'OCDE entend en outre s'attaquer à la question de la résidence fiscale. Des groupes, dans le domaine du commerce électronique entre autres, peuvent avoir un entrepôt dans un pays pour y réaliser ventes et livraisons mais les règles actuelles ne les contraignent pas à y être établis fiscalement.

Une modification de ces règles aurait un impact fort sur Amazon, qui en profité pour enregistrer sur les comptes de sa filiale luxembourgeoise les quelque 15 milliards d'euros de bénéfices réalisés en Europe l'année dernière.

L'OCDE espère aussi faire valider le concept de "présence numérique significative" afin que les marchands de services en ligne tels qu'Apple ou eBay soient également contraints d'être établis fiscalement dans les pays d'activité.

"Nous avons fait un grand pas en avant en adoptant une position commune, à savoir qu'il n'est pas possible de définir des règles fiscales spéciales pour l'économie numérique", a dit Angel Gurria.

(Avec Tom Bergin, édité par Yves Clarisse)

par Gregory Blachier