Julien Marion,

Agefi-Dow Jones

PARIS (Agefi-Dow Jones)--Pour sortir de l'impasse sociale dans laquelle se trouve Air France, le PDG du groupe Air France-KLM (AF.FR) Jean-Marc Janaillac reprend une vieille recette. Constatant que le conflit avec les syndicats au sujet des augmentations générales s'enlisait, le dirigeant a décidé de lancer une consultation directement auprès des salariés concernés. En 1994, Christian Blanc avait déjà eu recours à ce modus operandi. Le président d'Air France à l'époque en était sorti renforcé, lui permettant de mettre en œuvre son plan de restructuration avec 5.000 suppressions de postes à la clé.

Jean-Marc Janaillac n'a pas fait mystère de son sort si l'issue du vote se révélait défavorable : il quittera le groupe. "Mon destin personnel n'est rien", a-t-il déclaré vendredi en conférence de presse. L'ancien PDG de Transdev tente un coup de poker risqué mais qui a le mérite de ne pas briser complètement le dialogue social, ce que son groupe ne peut se permettre.

"Un constat d'échec tant pour la direction que pour les syndicats"

Les salariés du groupe seront appelés à se prononcer par vote électronique sur la dernière proposition salariale faite par la direction aux syndicats le 16 avril. Celle-ci prévoit une augmentation générale de 2% pour 2018, puis de 5% d'ici à 2021, en sus des augmentations individuelles, alors que les syndicats réclament une revalorisation des grilles salariales de 6% dès 2018. La direction fait le pari que les non grévistes - qui représenteraient 90% du personnel selon elle - vont approuver sa proposition et mettre les syndicats face à leur responsabilité.

La manœuvre se veut risquée. Si les salariés refusaient cette proposition, les investisseurs s'alarmeraient du départ de Jean-Marc Janaillac. "Après des débuts difficiles, Jean-Marc Janaillac avait prouvé qu'il était capable de faire face aux discussions sociales. Son départ serait également mal accueilli car il montrerait combien il est difficile de revoir la base de coûts d'Air France", glisse un analyste.

Même dans le cas où la consultation conforterait la direction, une issue au conflit n'en demeurerait pas certaine pour autant. "Cette consultation avec les salariés n'est pas un référendum et n'a pas de caractère contraignant, ce qui signifie que même après ce vote, la direction et les syndicats devront revenir à la table des négociations", souligne Eric Ferreres, expert en relations sociales et directeur de projet chez Entreprises & Personnels, pour qui cette consultation constitue "un constat d'échec tant pour la direction que pour les syndicats".

Le taux de participation comme baromètre

Si le caractère non contraignant de la consultation fait planer un risque supplémentaire, il possède néanmoins une vertu : "malgré cette consultation, le fil social n'est pas rompu, il y a une volonté de maintenir le dialogue avec les syndicats tout en prenant de la hauteur. Alors qu'avec un référendum, il y a un gagnant et un perdant et il est très difficile de se parler ensuite", analyse Eric Ferreres.

Air France ne peut justement se permettre de couper la ligne avec ses syndicats. D'abord, parce qu'en plus des négociations sur les augmentations générales, la direction mène des discussions catégorielles. Des réunions avec les pilotes ont eu lieu ce week-end concernant, par exemple, la majoration des heures supplémentaires. Ensuite, parce qu'une absence totale d'accord avec les syndicats ne constituerait pas une sortie par le haut, notamment vis-à-vis des salariés et des actionnaires du groupe, dont l'Etat. Enfin et non des moindres, parce que la compagnie doit présenter dans le courant de l'été un nouveau plan stratégique à moyen terme et qu'il lui faudra de nouveau dialoguer avec les représentants du personnel sur le contenu exact de ce plan.

Les syndicats ne sont pas pour autant pas en position de force. Si les représentants du personnel restent avant tous les représentants de leurs syndicats respectifs et non de l'ensemble des salariés, ignorer un plébiscite en faveur de la proposition de la direction les affaiblirait considérablement, notamment en vue de nouvelles élections du personnel en mars 2019. "Cela les mettrait dans l'obligation de réinterroger leurs rapports aux salariés", juge Eric Ferreres. Outre le résultat, le taux de participation des salariés à ce scrutin constituera dans cette optique "un important baromètre", juge-t-il. Contactés par l'agence Agefi-Dow Jones, plusieurs représentants syndicaux n'étaient pas disponibles dans l'immédiat.

Boulet boursier

Dans l'attente de l'épilogue de cette nouvelle péripétie, Air France continue d'accumuler les pertes dues aux grèves. Vendredi, Franck Terner, le directeur général d'Air France, a chiffré à environ 300 millions d'euros les pertes d'exploitation enregistrées par la compagnie, en incluant les journées de lundi et mardi. Le cours de Bourse d'Air France-KLM s'en ressent. Lundi, la valeur a encore cédé 1,87% à 8,08 euros, pâtissant de dégradation par Raymond James de ses prévisions pour le transporteur franco-néerlandais en 2018, en raison justement du coût des grèves pour la filiale tricolore.

Depuis le début de l'année Air France-KLM a perdu 40% de sa valeur en Bourse et se situe aujourd'hui à plus de 50% de l'objectif de cours moyen des analystes. Si Jean-Marc Janaillac remportait son pari, le titre serait débarrassé d'un important boulet boursier qui pourrait lui permettre de redécoller un peu, malgré l'impact des grèves.

-Julien Marion, Agefi-Dow Jones; +33 (0)1 41 27 47 94; jmarion@agefi.fr ed: VLV/GLB

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