Le commissaire à la Concurrence, Joaquin Almunia, a déclaré au gouvernement irlandais, dans une lettre rendue publique mardi, que les accords fiscaux conclus avec le groupe américain en 1991 et 2007 pouvaient être assimilés à des aides d'Etat contraires aux règles communautaires.

"La Commission est d'avis que par le biais de ces décisions, les autorités irlandaises ont conféré un avantage à Apple", ajoute-t-il dans cette lettre datée du 11 juin.

Apple dit n'avoir bénéficié d'aucun traitement de faveur et un porte-parole du gouvernement irlandais a rappelé de précédentes déclarations selon lesquelles Dublin a respecté les règles européennes.

Pour la Commission, les accords fiscaux incriminés ont été élaborés "à rebours" pour faire en sorte de minimiser les impôts payés par Apple à l'Irlande et ils ont été "motivés par des considérations d'emploi".

Apple emploie 4.000 personnes dans son usine de Cork, dans le sud-ouest de l'Irlande, le seul site de fabrication qu'il possède hors des Etats-Unis.

La CE ajoute que le compte rendu de réunions auxquelles ont participé des représentants du fisc irlandais montre que ceux-ci n'ont même pas essayé d'appliquer les règles internationales en vigueur au fabricant de l'iPhone.

Ce dernier est loin d'être la seule multinationale prise pour cible par un ou plusieurs pays dans le cadre des campagnes contre l'évasion fiscale, un sujet inscrit à l'ordre du jour du prochain sommet du G20.

L'UE enquête également sur des accords conclus entre Starbucks et les Pays-Bas ou entre Fiat et le Luxembourg.

DES FILIALES SANS AUCUNE RÉSIDENCE FISCALE

Un rapport du Sénat américain a révélé l'an dernier qu'Apple avait accordé le droit d'exploitation de sa propriété intellectuelle en Europe, en Afrique et en Asie à deux filiales enregistrées en Irlande qui n'ont de résidence fiscale dans aucun pays du monde, ce qui leur permet de ne payer aucun impôt sur les sociétés.

Or, une série d'accords avec des sous-traitants et des filiales de distribution permettent à ces deux filiales, Apple Operation Europe (AOE) et Apple Sales International (ASI), d'engranger des dizaines de milliards de dollars de bénéfices, explique ce rapport.

La Commission européenne souhaite aujourd'hui déterminer comment le fisc irlandais a permis à ces deux sociétés de déclarer des bénéfices imposables situés entre 40 et 80 millions d'euros ces dernières années.

Dans sa lettre, la CE explique que l'une des dispositions de l'accord conclu en 1991 a eu pour effet, alors que les revenus tirés de la vente de produits tels que l'iPhone et l'iPad s'envolaient, de maintenir l'impôt payé par le groupe en Irlande à leur niveau antérieur.

Un conseiller fiscal d'Apple "a avoué qu'il n'existait aucune base scientifique" au montant du bénéfice imposable déclaré par Apple au fisc irlandais, ajoute l'exécutif européen en s'appuyant sur le compte rendu d'une réunion.

Ces montages et accords fiscaux permettent à Apple, première capitalisation boursière mondiale, d'échapper à plusieurs milliards de dollars d'impôts par an, estiment des analystes.

Si la Commission conclut que l'Irlande a bel et bien accordé des aides illégales au groupe dirigé par Tim Cook, elle peut en théorie obliger celui-ci à rembourser les sommes concernées à l'Etat irlandais.

Mais des fiscalistes et des universitaires jugent plus probable que Dublin soit simplement obligé de durcir le ton vis-à-vis des multinationales.

(avec Padraic Halpin à Dublin, Marc Angrand pour le service français, édité par Wilfrid Exbrayat)

par Julia Fioretti et Tom Bergin