(Actualisation: cours de Bourse, commentaires de Natixis sur l'avertissement et la note de crédit d'Areva)

L'action du groupe d'ingénierie nucléaire Areva (>> AREVA) a perdu jusqu'à 20% de sa valeur mercredi matin à la Bourse de Paris, alors que le groupe a annoncé la veille qu'il renonçait à ses objectifs financiers pour 2015 et 2016, en raison notamment du retard pris dans la construction du réacteur EPR Olkiluoto 3 en Finlande.

Vers 11h10, le titre, qui a été réservé à la baisse à l'ouverture, chutait de 17,15%, à 10 euros.

"Malgré un cours déprécié, ce troisième gros 'profit warning' en 2014 augmente encore les risques de dégradation et enlève certains supports de valorisation," observe le courtier Oddo dans une note diffusée mercredi. L'intermédiaire financier, qui a déclassé le titre de "neutre" à "alléger", souligne le manque d'indication, même qualitative, sur les nouvelles perspectives pour les prochaines années, ainsi que les incertitudes générées par les changements prévus dans la structure juridique du groupe.

"Déjà révisés en baisse à l'issue de la publication des semestriels, les objectifs 2015-2016 sont, à présent, suspendus à la publication des comptes 2014, prévue le 25 février 2015. Nous avions écrit, le 3 novembre dernier, que l'exercice 2014 s'annonçait bien comme celui d'une transition tant en termes d'exploitation que de gouvernance. Ce sera effectivement le cas, au-delà même de nos attentes", renchérit Natixis. "Même si nous considérons toujours qu'Areva a, à moyen terme, la capacité de réussir sa mutation industrielle dans un environnement nucléaire offrant des opportunités de croissance, trois nettoyages successifs soulignent, au minimum, un sérieux problème de visibilité", ajoute la banque. Natixis a déclassé mercredi le titre de "acheter" à "neutre" et réduit son objectif de cours de 21 à 10,8 euros.

Retards de plusieurs réacteurs

Pour expliquer l'abandon de ses objectifs, Areva a également évoqué le retard pris dans le redémarrage des réacteurs japonais et le report du lancement de nouvelles constructions de réacteurs. L'électricien EDF (>> EDF) a parallèlement annoncé mardi soir qu'il reportait de 2016 à 2017 le démarrage de son réacteur nucléaire de type EPR à Flamanville, en raison notamment des difficultés rencontrées par Areva dans la livraison de certains équipements.

Le spécialiste du nucléaire a indiqué que sa division aval était confrontée à des décalages de contrats à l'export dans le recyclage et sur certains projets internationaux en raison d'une faible visibilité commerciale. En outre, les conditions de marché dans les activités de services à la base installée demeurent difficiles, y compris en France.

Selon Natixis, "la révision des hypothèses de calendrier de lancement de nouvelles constructions concerne probablement le glissement du calendrier des EPR britanniques", tandis que le retard de contrat à l'export dans le recyclage pourrait se référer au protocole d'accord signé en mars dernier avec China National Nuclear Corp., ou CNCC, au sujet du développement de leur coopération.

"Des perspectives financières pour la période 2015 à 2017, tenant compte de ces éléments, seront présentées d'ici à la publication des résultats de l'exercice 2014", prévue pour le 25 février 2015, a indiqué le groupe dans un communiqué. Areva prévoyait jusque-là une croissance organique du chiffre d'affaires de l'ordre de 4% à 5% en moyenne par an et une marge brute d'exploitation d'environ 10% à 11% en 2015 et d'environ 14% à 15% en 2016. Le cash-flow opérationnel libre avant impôts était attendu "proche de l'équilibre" en 2015 et "nettement positif" en 2016.

Ratios financiers et note de crédit sous pression

Le courtier Kepler Cheuvreux estime que l'excédent brut d'exploitation du groupe devrait atteindre 700 millions d'euros en 2015 et 1,15 milliard d'euros en 2016, des chiffres revus en baisse de 200 millions d'euros après l'avertissement d'Areva.

Avec une dette qui atteindra 5 milliards d'euros en moyenne au cours des deux prochaines années et un Ebitda inférieur à 1 milliard d'euros, "nous ne pouvons écarter le scénario d'une recapitalisation de 1,5 à 2 milliards d'euros", pour que le ratio de dette nette sur Ebitda soit proche d'environ 3, indique l'intermédiaire financier, qui a abaissé mercredi sa recommandation pour Areva de "achat" à "alléger".

Dans ce contexte, Areva a indiqué qu'il allait lancer une révision de ses perspectives stratégiques et de son plan de financement à moyen terme. Il travaille également à un renforcement de son plan de performance pour s'adapter aux conditions de marché difficiles. Début octobre, le groupe avait déjà annoncé une réduction de ses investissements et des cessions d'actifs, afin de renforcer sa structure financière. Ces annonces avaient permis d'éviter un abaissement en catégorie spéculative de la note de crédit de Standard & Poor's (S&P).

Cette fois, S&P pourrait décider de dégrader la note de crédit d'Areva de 'BBB-' à 'BB+', estime l'analyste crédit de Natixis, "même si l'agence peut également prendre l'option, moins radicale, d'une mise sous surveillance avec implication négative".

Confirmation des objectifs 2014

Les prévisions de chiffre d'affaires et de marge brute d'exploitation du groupe pour 2014 ont en revanche été confirmées mardi. Areva vise toujours une baisse organique de 10% de ses revenus et une marge brute d'exploitation d'environ 7%. Le groupe a toutefois averti qu'il pourrait ne pas tenir son objectif de cash flow opérationnel libre pour cette année.

Dans son communiqué, Areva a indiqué que certains encaissements clients attendus en fin d'année étaient susceptibles d'être reportés sur l'exercice 2015, "avec un impact sur le niveau du cash flow opérationnel libre" attendu pour 2014. Jusqu'ici, la société espérait atteindre cette année un cash flow opérationnel libre "proche de l'équilibre".

Malgré la confirmation des objectifs, Natixis estime que la perte nette de l'exercice 2014 pourrait dépasser celle de 694 millions d'euros accusée au premier semestre. "On ne peut exclure la comptabilisation de provisions relatives à la prise en compte de décalages (Okiluoto 3) et de coûts supplémentaires (Flamanville)", ajoute la banque.

Ce nouvel avertissement sur résultats, après l'alerte déjà lancée début août, intervient en plein changement de gouvernance pour Areva, détenu à 87% par l'Etat. Fin octobre, le président du directoire, Luc Oursel, a annoncé son départ de la tête du groupe pour des raisons de santé. Le directeur général délégué, Philippe Knoche, a pris les rênes de l'entreprise jusqu'à la prochaine assemblée générale des actionnaires.

Lors de cette assemblée générale, Areva doit également entériner l'évolution de son mode de gouvernance pour devenir une société à conseil d'administration.

-Valérie Venck, Dow Jones Newswires; valerie.venck@dowjones.com

(Blandine Hénault, Yann Morell y Alcover et Eric Chalmet ont contribué à cet article)

Valeurs citées dans l'article : AREVA, EDF