Nombreux sont les banques et courtiers chinois qui ploient sous le poids de créances nées de prêts accordés à des entreprises dont ils ont pris les actions en garantie, actions qui se sont fortement dépréciées.

Southwest Securities, un courtier de Chongqing, a dit le mois dernier, dans la présentation de ses comptes trimestriels, qu'il avait dû mettre en réserve l'équivalent de 80% de ses bénéfices dégagés jusqu'en septembre pour couvrir les pertes latentes de ces créances.

Southwest et ses semblables sont pris dans l'effondrement lent du système dit du "pledge share financing" suivant lequel les principaux actionnaires d'une entreprise fournissent des actions en garantie des prêts accordés à cette dernière.

Cette pratique s'est répandue comme une traînée de poudre l'an dernier, époque à laquelle le gouvernement chinois avait lancé son offensive contre le "shadow banking" mais à présent que les cours de certaines actions chutent, les temps sont devenus difficiles pour les créanciers.

Ces actions présentées en garantie, essentiellement par des PME, représentent un montant de 620 milliards de dollars (547 milliards d'euros) environ, soit 10% de la capitalisation boursière totale en Chine. Or ce sont les PME qui souffrent le plus du ralentissement économique et la guerre commerciale entre Pékin et Washington.

Les grands indices boursiers ayant perdu 20% depuis le début de l'année, les autorités chinoises ont enjoint les courtiers de ne pas se délester des actions détenues en garantie, tandis que les sociétés cotées ont été priées de ne pas suspendre les transactions sur leurs propres titres.

Même si les autorités poussent les collectivités locales, les courtiers, les assureurs et les fonds d'investissement à injecter du cash dans les sociétés cotées, les pertes n'en risquent pas moins de s'accumuler.

Sur la période janvier-septembre, les 32 courtiers chinois cotés ont mis en réserve de quoi couvrir plus d'un milliard de dollars de pertes sur créances, le double de l'année précédente, au vu de leurs comptes trimestriels. Dans la mesure où les défauts de paiement se multiplient sur des prêts garantis par des actions, ces courtiers ont vu leur bénéfice fondre de moitié au troisième trimestre.

Southwest a ainsi vu son bénéfice net chuter de 62% au troisième trimestre et fait état de divers contentieux avec des débiteurs devenus insolvables tels que le joaillier Eastern Gold Jade, Jiang Su Proturly Vision Technology Group, un spécialiste de la vision électronique, et Guangdong Golden Glass Technologies.

Pour Yuan Yuwei (Water Wisdom Asset Management), les pressions exercées par le gouvernement ne font qu'envenimer les choses.

"Si on veut éteindre un incendie, il faut séparer du reste ce qui est déjà en flammes", dit-il. "Si le risque se répand un peu plus dans le système financier, une simple allumette peut faire l'effet d'une bombe atomique".

La crise a mis à genoux Pang Da Automobile Trade, l'ex-"roi des concessionnaires" automobiles.

Son action a chuté de 40% et ses créanciers ont procédé à des appels de marges, obligeant son fondateur et premier actionnaire, Pang Qinghua, à engager la totalité de sa participation de 20%, laquelle a depuis été gelée par un tribunal.

Il a emprunté auprès de China Mengshing Banking et de Bank of Communications, entres autres établissements, suivant des documents boursiers.

Pang Da, qui se vantait de distribuer plus de 70 marques d'automobiles, en est à présent à revendre des concessions.

La société, qui a plus de 1.000 points de vente et qui emploie quelque 30.000 personnes en Chine, a revendu à un concurrent cinq concessionnaires Mercedes en mai puis neuf autres en août, qui distribuaient des marques telles que Lexus, Subaru et Volkswagen.

"Il ne se passe pas un jour sans que nous ne discutions des moyens de surmonter la crise", admettait Pang, par ailleurs vice-président de la China Automobile Dealers Association (Cada), dans une publication de la fédération le mois dernier.

Un responsable de Pang Da a dit que les autorités avaient récemment demandé aux créanciers de ne pas essayer de se faire rembourser pour aider le concessionnaire à survivre à la crise, conformément à la ligne suivie par Pékin qui pousse les institutions financières à tolérer plus de risque quand leurs emprunteurs privés connaissent des difficultés.

Pang Da n'a pas répondu à une demande d'interview. La Cada s'est abstenu de tout commentaire.

Pour Yale Zhang, responsable de l'agence de conseils Automotive Foresight, les difficultés de Pang Da sont loin d'être temporaires.

"Le problème semble chronique", dit-il, évoquant la décélération du marché automobile et le ralentissement de la croissance en général.

De leur côté, les banques ne communiquent pas sur le montant de leurs provisions afférentes au financement par collatéral d'actions. Elles comptent pour 70% des montants lié à ce type de financement, qui ne représente toutefois qu'une proportion bien plus modeste de la totalité de leurs prêts.

Courtiers, assureurs et collectivités locales, répondant aux attentes pressantes de Pékin, ont engagé plus de 500 milliards de yuans (63 milliards d'euros) dans des "fonds d'allègement" chargés de racheter les actions des sociétés faisant l'objet d'appels de marges. La liste de telles initiatives ne cesse de s'allonger.

Cela ne rassure pas les investisseurs.

"Le risque est repoussé mais pas désamorcé car les actions plombées restent au bilan des courtiers", observe Hong Hao (BOCOM International).

"Le risque tient à la volatilité du cours de l'action, susceptible de déclencher des appels de marge et, en puissance, une liquidation forcée", dit Alexious Lee (CLSA).

Prenant pour exemple le ChiNext, compartiment de la Bourse de Shenzhen affecté aux startups, il estime que si l'indice tombe en deçà des 1.200 points, soit près de 10% en deçà de son niveau actuel autour de 1.320 points, une nouvelle vague d'actions en collatéral d'une valeur de 1.500 milliards de yuans risquent de faire l'objet d'un appel de marges.

Même si les marchés se sont stabilisés ce mois-ci, il ne faut pas crier victoire trop vite, insiste Yang Xiaofan (Wendaotianxia Investment).

"La 'spirale fatale' du 'pledged share' est un processus à long terme qui continuera à soutirer du cash aux grands actionnaires des sociétés cotées", dit-il. "Et beaucoup de petites capitalisations, surgaranties et à court d'argent, sont déjà des actifs toxiques".

CLSA estime que 60 à 100 entreprises chinoises risquent la radiation de la cote en raison de ce phénomène, qui, "si on en observe l'ampleur et la gravité, sans compter le contexte de guerre commerciale (...) on ne peut exclure qu'il dégénère en risque financier systémique", conclut Wang Qian, professeur à l'université Tongji.

(Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Blandine Hénault)

par Samuel Shen et John Ruwitch