Nina Trentmann et Robert Wall,

The Wall Street Journal

LONDRES (Agefi-Dow Jones)--De part et d'autre de la Manche, les dirigeants d'entreprises sont d'accord sur un point important en ce qui concerne l'échec du parti conservateur de la Première ministre Theresa May à obtenir la majorité au parlement: ils peuvent oublier tout ce qu'ils croyaient savoir sur les contours du Brexit.

"Personne ne sait ce que cela implique pour le Brexit", a déclaré Richard Carter, directeur général de BASF au Royaume-Uni, qui assistait à un dîner annuel à Londres pour la chambre de Commerce allemande jeudi soir, alors que les sondages à la sortie des urnes présageaient un parlement sans majorité claire. "Cela aura d'énormes implications pour le Brexit", a-t-il ajouté.

Le Parti conservateur de Theresa May dispose toujours d'un plus grand nombre de sièges que tout autre parti à l'issue des élections législatives, mais l'échec de la Première ministre à obtenir une majorité - ainsi que le score élevé obtenu par le Parti travailliste et les libéraux-démocrates - brouille la situation politique au Royaume-Uni juste avant l'ouverture des négociations sur le Brexit.

Les conservateurs doivent maintenant trouver des alliés au parlement pour pouvoir gouverner de manière efficace. Le leader travailliste Jeremy Corbyn a demandé la démission de Theresa May et a déclaré qu'il tenterait de former un gouvernement, même si l'initiative reviendra d'abord à la Première ministre.

La livre poursuit sa chute

Pour les entreprises confrontées au Brexit, ces nouvelles incertitudes constituent une grande source d'inquiétude.

Le vide politique que cela laisse dans l'immédiat à Westminster et la perspective d'une coalition instable ou d'un gouvernement minoritaire à moyen terme pourraient soulever des interrogations sur à peu près tout, que ce soit le calendrier des négociations sur le Brexit avec Bruxelles, voire la possibilité même que la séparation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne se matérialise.

La livre a entamé son repli dès jeudi soir, réagissant aux sondages réalisés à la sortie des urnes, prédisant les grandes lignes de l'issue des élections. Les analystes s'étaient préparés à de fortes turbulences sur le marché en cas d'échec de Theresa May à obtenir une majorité. Malgré la position relativement favorable aux entreprises des conservateurs par rapport aux travaillistes, la Première ministre s'était également engagée à une vraie rupture avec l'Union européenne, un point perturbant pour les dirigeants d'entreprises.

Ulrich Hoppe, directeur général de la Chambre allemande de l'Industrie et du Commerce au Royaume-Uni, a déclaré espérer que "ce vote conduira le pays à revoir sa position concernant le Brexit". Le Royaume-Uni pourrait se montrer plus conciliant sous un gouvernement différent, a-t-il estimé.

Le FTSE 100, l'indice-phare de la Bourse de Londres, a ouvert en hausse vendredi matin. L'indice est composé d'entreprises d'envergure internationale, dont beaucoup profitent d'une dépréciation de la livre.

Airbus prudemment optimiste

Certains dirigeants ont estimé qu'il était trop tôt pour évaluer les conséquences des élections britanniques.

Fabrice Brégier, patron de la division d'aviation commerciale d'Airbus Group, a déclaré que le groupe adopterait une approche "attentiste". Airbus, qui fabrique les ailes de tous ses avions au Royaume-Uni, a indiqué qu'il se concentrait sur les implications de long terme des négociations sur le Brexit, et non sur les fluctuations à court terme des devises, ni même sur l'issue des élections.

Le dirigeant a expliqué aux journalistes qu'il fallait avant tout considérer les conséquences à long terme du Brexit et que le groupe souhaitait rester au Royaume-Uni sous réserve que les conditions pour y travailler dans le cadre d'une organisation intégrée soient réunies.

Airbus serait amené à reconsidérer sa présence au Royaume-Uni si un gouvernement décidait d'imposer des droits de douane sur les livraisons de pièces d'avions entre le Royaume-Uni et l'Europe continentale, ou empêchait les employés étrangers de visiter les sites de production d'Airbus au Royaume-Uni, a-t-il poursuivi.

Fabrice Brégier s'est toutefois montré assez optimiste, en déclarant que selon lui, il existait des solutions à tous les points qu'il venait d'évoquer.

"Revers" pour le Brexit

L'un des grands perdants à la Bourse de Londres est l'opérateur de télévision payante britannique Sky, qui a convenu de céder à 21st Century Fox les 61% que le groupe américain de médias ne détient pas encore dans son capital. L'opération est soumise à l'approbation du gouvernement britannique. Face aux incertitudes concernant l'identité de ceux qui seraient au pouvoir pour prendre cette décision, les investisseurs ont fait plonger l'action du groupe de 2,7% vendredi matin.

Les dirigeants d'entreprises ont appelé à agir rapidement pour former un gouvernement afin de limiter l'incertitude.

"Alors que les négociations cruciales sur le Brexit approchent à grand pas, en plus des défis nationaux significatifs auxquels nous sommes confrontés, l'absence de gouvernement doté d'une majorité engendre indéniablement de l'incertitude", a remarqué Stephen Martin, directeur général de l'Institute of Directors.

Pour Peter Toogood, responsable de l'investissement chez Embark Group,les événements de cette nuit constituent un "revers pour le Brexit, car nous sommes loin d'avoir un gouvernement fort et stable".

-Nina Trentmann et Robert Wall, The Wall Street Journal

(Version française Maylis Jouaret) ed: ECH