Le scénario d'un "Frexit", s'il apparaît relativement peu probable en raison des sondages qui placent systématiquement Marine Le Pen perdante au second tour, n'en donne pas moins des sueurs froides dans les milieux financiers.

Les responsables de ce secteur n'en sont plus, comme lors des élections précédentes, à éplucher les programmes pour y décortiquer les mesures qui pourraient affecter leurs marges.

Elles se préparent plutôt à faire face à deux issues diamétralement opposées, soit le statu quo, soit un saut dans l'inconnu.

"Il y a le scénario catastrophe, avec le Front national qui gagne", résume un dirigeant d'une banque française, pour qui les conséquences d'une sortie de l'euro seraient "incalculables".

S'il reconnaît que l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis et la décision du Royaume-Uni de sortir de l'Union européenne n'ont pas conduit aux chocs attendus, il estime qu'il en serait cette fois autrement.

Dans le cas du "Brexit", les banques françaises et leurs clients devaient se préparer à une dévaluation de 15 à 30% d'une monnaie d'un pays sur lequel ils n'étaient pas très exposés, un scénario contre lequel il était assez facile de se couvrir.

Mais comment, dans le cas d'un "Frexit", se protéger contre sa propre monnaie, contre une implantation dans son propre pays?

Pour Philippe Waechter, chef économiste chez Natixis AM, la victoire d'une Marine Le Pen déterminée à quitter la zone euro se traduirait instantanément par une fuite des capitaux.

CRISE DE LIQUIDITÉS

Les épargnants et les entreprises auraient en effet comme priorité de mettre leurs euros à l'abri, par exemple au Luxembourg, avant qu'il ne soient transformés en nouveaux francs dévalués.

"Il y aurait une vraie problématique de crise de liquidité", souligne l'économiste, qui ajoute que les banques françaises pourraient être exclues du marché interbancaire, laissant à la Banque centrale européenne (BCE) le choix d'intervenir.

Se poserait alors la question de savoir si cette dernière aurait la volonté et les moyens de secourir un pays en passe de quitter son giron et dont les banques, dont quatre systémiques, pèsent plusieurs fois le produit intérieur brut français.

La secousse d'une élection de Marine Le Pen serait aussi ressentie sur les emprunts d'Etat français, détenus à 60% par des non-résidents, avec un probable bond des taux d'intérêt.

La volonté du FN de financer la dette et les déficits directement via la Banque de France renforcerait aussi la crainte d'une forte inflation, alors que les banques ont accordé en masse des prêts à des taux d'intérêts historiquement bas.

VENDRE DE LA PEUR POUR RÉCOLTER DES 'FEES'

Compte tenu de toutes ces incertitudes, se poserait également une problématique de solvabilité devant l'extrême complexité pour les banques d'équilibrer leur bilan avec autant d'inconnues.

Le Front national conteste les prédictions de crise financière et estime par exemple que l'Etat pourra défendre la nouvelle monnaie via les réserves de la Banque de France, mais ses arguments peinent à convaincre.

"Si Marine Le Pen arrive au pouvoir, les banques françaises vont dévisser, LVMH continuera à vendre des sacs à main mais pour les banques...", soupire un analyste financier.

La tension est palpable et les rebondissements de la campagne électorale se font régulièrement ressentir à travers l'écart de rendement entre l'OAT française et le Bund allemand à 10 ans.

Mardi, au lendemain du premier débat entre les principaux candidats à la présidence, ce spread diminuait de près de trois points, les investisseurs jugeant que Marine Le Pen n'avait pas été particulièrement convaincante.

Les cours des banques françaises ont repris également quelques couleurs à l'issue du débat, le scénario d'une victoire du FN semblant s'éloigner un peu plus, alors que l'effet Marine Le Pen a pesé ces derniers mois sur leurs actions, qui ont sous-performé celles de leurs homologues européennes.

Un analyste français fait état d'un "plafond de verre" que les banques françaises n'arrivent plus à franchir, certains investisseurs se positionnant systématiquement à la baisse quand leurs cours franchissent certains seuils.

La capitalisation boursière des banques françaises pourrait ainsi être amputée d'un quart en cas de victoire de Marine Le Pen, estime Citigroup, qui donne à la dirigeante du Front national 20% de chances de devenir présidente.

De nombreux établissements bancaires étrangers y vont de leur analyse en donnant des probabilités de victoire qui peuvent parfois sembler élevées, comme UBS qui assignait dans une note une possibilité de 40% à une victoire de Marine Le Pen.

Des analystes français estiment toutefois que certains brokers étrangers instrumentalisent la peur de voir Marine Le Pen devenir la huitième président de la Ve République.

"Ne faisons pas ce que font les brokers anglo-saxons, vendre de la peur pour récolter des 'fees' (commissions)", peste ainsi l'analyste d'un investisseur institutionnel, alors qu'au sein des banques, on rapporte que les départements de relations investisseurs sont fortement sollicités par des clients inquiets.

PAS DE PLAN B

Certains financiers parisiens estiment que le risque est surévalué à l'étranger en raison d'une méconnaissance du système institutionnel français et qu'ils doivent ainsi faire preuve de pédagogie.

Le scrutin majoritaire à deux tours des élections législatives rendrait l'acquisition d'une majorité parlementaire par le FN difficile, comme l'ont montrées les élections régionales de 2015, où le parti d'extrême droite, malgré des scores très importants, n'a pu s'imposer dans aucun exécutif régional.

Le dirigeant d'un assureur explique en outre que l'engagement de Marine Le Pen de soumettre à un référendum une éventuelle sortie de l'euro constitue un filet de sécurité supplémentaire, vu l'attachement des Français à la monnaie unique.

Si le Haut Conseil de stabilité financière français note, sans référence explicite au Frexit, "la persistance d’une forte incertitude (...) face aux risques susceptibles de se matérialiser à court et moyen terme", l'Etat reste muet sur la manière dont il se prépare à l'impact d'une éventuelle sortie de la France de la zone euro.

"Je ne ferai de façon générale, comme mes prédécesseurs, aucun commentaire sur toute disposition de crise que la Banque de France peut être amenée à prendre", a ainsi déclaré le 13 mars dernier le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau.

En privé, les langues ne sont pas plus déliées : "Il n'y a pas de plan B (sur un éventuel Frexit) et si on en avait un je n'en parlerais pas" indiquait aussi un autre responsable public.

(Avec Matthieu Protard, Myriam Rivet, Yann le Guernigou, Maya Nikolaeva et Gwénaëlle Barzic, édité par Jean-Michel Bélot)

par Julien Ponthus

Valeurs citées dans l'article : BNP Paribas, Natixis, Société Générale, Crédit Agricole