"Quel regard portez-vous sur la dynamique des IPO en Europe depuis le début de l’année ?
Cette dynamique est particulièrement soutenue. Au 31 mars 2015, les IPO ont représenté 18,8 milliards de dollars, contre 11,5 milliards de dollars pour la même période en 2014. Le volume des fonds levés a donc progressé de 60%.
Habituellement le flux des IPO commence à apparaitre à partir du mois de mars. Les émetteurs et les investisseurs préférant attendre la publication des résultats annuels en février pour mieux établir d’une part et mieux jauger d’autre part des perspectives de la société. Cette année, le flux a débuté dès janvier.

Comment l’expliquez-vous ?
Par plusieurs raisons. De nombreuses opérations ont été retardées en 2014. Alors que le premier semestre de l’année dernière avait été particulièrement animé, le second semestre s’est caractérisé par une certaine accalmie en particulier du fait des perturbations sur les marchés financiers apparus à partir de l’été. Une liste d’attente s’est donc constituée.

En outre, les performances boursières ont été très bonnes dès les premières semaines de l’année. Les actions européennes ont ainsi bondi d’une quinzaine de pourcents dès la mi-février. Les flux entrants ont été singulièrement porteurs, soit 130 milliards de dollars sur les trois premiers mois de l’année.

Dans cet environnement, plusieurs entreprises en accord avec les banques conseil et en adéquation avec l’appétit des investisseurs pour les actions n’ont pas souhaité attendre pour faire leur entrée sur le marché. Le bal a été ouvert le 2 janvier avec Tele Colombus, un cablo-opérateur allemande. L’effervescence a ensuite impacté une diversité de secteurs, dont l’activité aéroportuaire en Espagne, la blanchisserie industrielle en France, les petites annonces au Royaume-Uni...

Pensez-vous que le trend est durable ?
Je le pense. Il y a une bonne corrélation entre ce trend et l’évolution des marchés actions. Or domine actuellement un sentiment favorable à propos de la progression de ces marchés. Certes les niveaux de valorisation ne sont plus aussi attractifs qu’ils ne l’étaient en début d’année. Cependant, pour l’heure, le consensus n’anticipe pas du tout une correction importante et persistante.
La conjoncture économique affiche de clairs signes d’amélioration dans la région. Même si la croissance ne se veut pas extraordinaire, le risque d’une rechute en récession est très limité. Cela milite pour un redressement des profits des entreprises qui devraient soutenir la poursuite du rallye des actions européennes.
Parallèlement, face à des rendements obligataires de plus en plus bas, le manque d’alternative pousse les investisseurs européens à continuer à avoir un appétit pour les actifs risqués.
L’affaiblissement de l’euro face au dollar rend encore plus attractif le marché européen aux yeux des opérateurs internationaux, notamment américains.

Le marché des IPO apparait plus sain en ce début d’année qu’il ne l’était l’année dernière ?

Les investisseurs ne sont pas enclins à acheter n’importe quoi à n’importe quel prix. Alors que certaines opérations avaient été réalisées dans le haut de la fourchette de cotation en 2014, tel n’est pas le cas depuis le début de l’année. C’est en cela le marché se veut plus sain.

Êtes-vous d’avis que les fonds de capital investissement et les fonds de private equity seront encore un moteur de la dynamique au cours des prochains mois ?
Vraisemblablement même si nous verrons également des sociétés non adossées à des acteurs financiers également s’introduire sous l’effet d’un spin off (Philips, Alcatel, Bayer) ou pour intensifier leur développement tant au niveau domestique qu’à l’international.
Pour les fonds d’investissement une introduction en bourse peut apparaitre plus rentable qu’une opération de LBO ou une vente industrielle pour sortir une participation du portefeuille. C’est ainsi que les actionnaires de la société Refresco ont décidé de s’acheminer vers une IPO après avoir jugé la valorisation proposée pour l’opération de LBO insatisfaisante.

Vous attendez-vous à une multiplication des IPO cross border ?

Pas spécialement. Les opérations cross border doivent répondre à une finalité précise. Ce n’est pas parce que sur la place de cotation convoitée les valorisations sont plus élevées qu’indéniablement la mise en cotation se fera dans de meilleures conditions avec des multiples plus importants. En témoigne l’introduction de Cnova, filiale de Casino sur le Nasdaq. La valorisation du titre n’a pas été in fine très attractive. Les investisseurs qui se positionnent sur une IPO ont pour la plupart une démarche très professionnelle. Ils analysent minutieusement la logique d’une opération avant de s’y exposer.

Une société française qui a son siège en France dont le dirigeant est français, dont l’activité est essentiellement exercée en France et qui a un business model susceptible d’être aisément analysé par des investisseurs européens n’a pas de raison fondamentale d’aller se coter ailleurs qu’à Paris. Cette société sera très rapidement confrontée à la question de la raison d’être de sa décision de s’introduire sur une place étrangère. Si la réponse apportée n’est pas convaincante, elle sera vivement sanctionnée.

La mise en concurrence accrue des plateformes boursières, notamment d’Euronext avec London Stock Exchange, ne pourrait-elle pas mener à un accroissement de ces opérations cross border ?
Tel n’est pas mon avis. A regarder de près, l’ensemble des grandes places européennes matures se valent en termes de qualité.

On peut penser que des entreprises françaises n’auront pas d’intérêt à se coter sur la place de Londres. Prenons l’exemple d’Elis. 27% de la demande des titres émis par la société a émané d’investisseurs français et 73% d’investisseurs européens et américains. Ces derniers savent aussi bien investir sur la place de Paris, que sur celle de Londres, de Francfort, de Milan, ou de Madrid…
Néanmoins, si Elis avait souhaité se coter outre Manche, elle aurait sans doute eu plus de difficulté à attirer les investisseurs européens en raison du libellé des actifs en livre sterling et n’aurait pas capté l’attention d’autant d’investisseurs domestiques car le business model n’est pas britannique et que l’investissement de la société au Royaume-Uni est marginal.

Les opérations cross border ont surtout un sens lorsqu’une entreprise émergente veut se coter sur une place occidentale. Ainsi Londres est une terre d’accueil de nombreuses sociétés africaines.

D’aucuns avancent comme argument de la vivacité de la dynamique des IPO en Europe, les assouplissements apportés dans le cadre réglementaire, particulièrement dans les directives prospectus et transparence. Partagez vous cette opinion ?
Plus que par les entreprises désireuses de lever des capitaux sur le marché, la dynamique des IPO est surtout alimentée par la volonté des investisseurs de se porter acquéreuses d’actions nouvellement émises.
Les contraintes qui parsèment le chemin de l’introduction, bien qu’elles soient diverses, ne sont pas véritablement des freins à l’enthousiasme des dirigeants d’entreprises des PME et ETI à faire leur entrée en bourse. Ce qui est décisif pour leur entrain c’est l’inclination des opérateurs sur les marchés actions à étoffer leur portefeuille d’investissement.
Pour accroitre cette inclination et la maintenir, des incitations fiscales sont nécessaires. Tel ne semble pas la voie empruntée au sein de la plupart des pays européens.

"