"Selon vous nous entrons dans une nouvelle ère d’investissement ?
L’économie a vocation à croitre durablement à un rythme plus soutenu que précédemment. La reprise économique, même si elle peut être molle à certains endroits comme dans la zone euro, se caractérise par une relative longévité. Du fait de cette amélioration de la conjoncture, la Banque centrale américaine se dirige progressivement vers la voie d’une normalisation de la politique monétaire. Enfin, les valorisations ont dans certaines classes d’actifs notablement augmenté.

Quelles sont les principales implications de cette nouvelle ère ?
Une volatilité plus forte et des opportunités plus nombreuses qui supposent une approche active dans la stratégie d’investissement en termes de market timing et de choix des titres.

S’agissant du processus de normalisation de la politique monétaire américaine, quand anticipez-vous la fin du programme d’achat d’actifs ?

Le programme devrait continuer à être réduit de 10 milliards de dollars à l’issue de chacune des réunions des membres du comité de pilotage de la politique monétaire (le FOMC). Dans le cas contraire, si la Fed interrompait cette rythmicité, cela pourrait alimenter des doutes dans l’esprit des investisseurs sur la robustesse de la dynamique économique aux Etats-Unis. La visibilité de la politique conduite serait d’autant plus mise à mal dans la mesure où le marché ne serait pas certain de la date à laquelle le processus de contraction du programme redémarrerait.

Quand voyez-vous le premier resserrement du taux directeur ?

Il est difficile de le dire. La Fed a abandonné les critères quantitatifs de déclenchement de ce resserrement qui concernaient le taux de chômage à 6,5% et le taux d’inflation à 2% pour retenir une démarche plus qualitative. Ce changement est bienvenu dès lors que la Fed accroit ainsi sa marge de manœuvre. Cependant, en conséquence, la prédictibilité du comportement de la Banque centrale s’en trouve plus compliquée. Les spéculations vont bon train parmi les économistes sur quelles seront les données fondamentales que la Fed s’efforcera de suivre pour prendre sa décision.

De quelle manière avez-vous reçu l’évocation par Janet Yellen d’un délai de 6 mois entre la fin du programme d’achat d’actifs et le premier relèvement du taux directeur ?
Je pense qu’en donnant cette réponse à une question formulée par un journaliste, Janet Yellen s’est montrée un peu trop spontanée. Il est fort probable qu’elle aurait préféré préciser sa déclaration en indiquant que le relèvement sera étroitement dépendant des perspectives économiques.
Il est intéressant de remarquer que sur le marché actions, la réaction des investisseurs aux propos de Janet Yellen a été de courte durée. Cela témoigne le fait que la Bourse est dominée à présent davantage par les estimations de bénéfices et moins par les prévisions en matière de taux d’intérêt.

Vous pensez donc qu’il n’y a pas lieu d’accorder trop d’importance à ce délai de 6 mois ?
Je pense que dans les jours à venir plusieurs responsables de la Fed auront à cœur d’atténuer le message délivré.

Quelle cible retenez-vous pour autant dans votre scénario central ?
Le début de l’été 2015.

Vous êtes d’avis que la courbe des taux américains intègre insuffisamment les perspectives de resserrement monétaire ?

Tout à fait. Selon nous la Fed devrait relever son taux directeur de 100 points de base au cours du second semestre 2015, à raison de 0,25% à l’issue de chacune des réunions du FOMC. Ce n’est pas ce à quoi le marché s’attend.
C’est ce qui explique notre préférence pour une duration dans nos portefeuilles obligataires américains inférieure à celle du benchmark.

La Fed pourrait-elle décider d’opérer un premier rehaussement de 0,50% ?
Je ne le crois pas. Un tel rehaussement pourrait conduire à des fluctuations violentes sur le marché. Il se justifierait si nous avions une violente expansion de la croissance, ce que nous ne voyons pas poindre à l’horizon pour le moment.

Le risque d’une remontée brutale du taux à dix ans américain s’est il accentué du fait de la dégradation de la visibilité de la politique monétaire de la Fed ?
Tel n'est pas mon sentiment. Le seul ajustement que nous avons noté est un ajustement du calendrier du premier relèvement du taux directeur. Le marché tablait initialement sur l’automne 2015. Il à présent l’été 2015.
Nous escomptons un taux à dix ans américain entre 3,25% et 3,50% à la fin de cette année.

La courbe des taux américains à vocation à s’aplatir au cours de l’année prochaine ?
L’inflation demeure très faible et ne devrait pas s’accélérer à un niveau préoccupant en dépit de la reprise économique aux Etats-Unis. La Fed devrait rester prudente dans la conduite de sa politique monétaire. Plus le marché boursier américain montera plus la hausse des taux longs américains sera limitée. Face à des valorisations des actions américaines plus onéreuses dans un an, la demande des investisseurs pour des classes d’actifs diversifiantes devrait s’intensifier. Ces derniers devraient de nouveau revenir sur les obligations américaines.

Quelle analyse faites-vous de l’attitude de la Banque centrale européenne de ce côté-ci de l’Atlantique ?

Les dernières déclarations de Jens Weidmann, gouverneur de la Bundesbank, à propos de la démarche potentielle de la BCE sont remarquables. Celui-ci a indiqué que pour autant que le statut de la BCE était respecté, un quantitative easing était envisageable. Il a ajouté que ce n’est pas parce que la BCE achèterait les titres de dette de tous les Etats membres qui composent la zone euro, qu’elle sera en conformité avec son mandat. Il n’a cependant pas précisé que la BCE ne pouvait pas acquérir de titres d’Etat. Il a par ailleurs insisté sur la capacité de la BCE de considérer d’autres actifs à l’achat. Il a fini par signaler que la BCE pourrait opter pour un taux d’intérêt négatif pour atténuer la force de l’euro.
Tous ces éléments réunis laissent penser qu’une intervention de la BCE n’est plus qu’une question de temps.

Vous aviez alimenté une crainte après la dernière conférence de presse de Mario Draghi consécutive à la réunion du Conseil des gouverneurs ?

Mario Draghi avait dit qu’en gardant les taux nominaux bas dans une économie de la zone euro en accélération avec une inflation plus élevée, les taux réels étaient destinés à reculer. Ainsi la politique monétaire serait naturellement vouée à être plus accommodante au fur et à mesure du redressement de la croissance économique. Ce postulat soulevait une crainte quant à éventuel statu quo de la BCE. Aujourd’hui cette crainte s’est dissipée.

Le facteur qui pourrait déclencher l’intervention de la BCE est le niveau de l’euro ?
Nous pouvons être interpellés par le fait que malgré le délai de 6 mois avancé par Janet Yellen, en dépit de l’attention à l’égard de la force de l’euro affichée par Mario Draghi et bien que Jens Weidmann ait également mis de l’eau au moulin, la parité euro dollar s’établit à 1,38.
L’inertie de l’euro face au dollar est à mettre en relation avec la réallocation des investisseurs en faveur des actifs de la zone euro ?
Les investisseurs étrangers continuent notamment à se ruer sur les actifs de la zone euro sans se couvrir contre l’euro car ils n’ont pas d’inquiétude sur une attitude agressive que pourrait avoir la BCE pour affaiblir la monnaie unique contrairement à ce que fait la Banque centrale du Japon pour déprécier le yen.

Ne pensez-vous pas que le différentiel dans la reprise économique et dans le sens donné à la politique monétaire dans la zone euro et aux Etats-Unis pourraient suffire à une diminution naturelle et graduelle du cours de l’euro contre le dollar ?
Cela fait longtemps que nous attendons un tel phénomène. Le différentiel dans la croissance, dans la conduite de la politique monétaire, et dans la remontée des taux existe depuis plusieurs mois. Or nous n’avons perçu pratiquement aucun impact sur l'euro.

Sur la partie courte de la courbe il n'y a plus de possibilité de jouer le portage. Pour ce qui est de la partie longue les investisseurs ont plus intérêt à jouer les taux européens que les taux américains. La remontée des taux américains étant plus prononcée aux États-Unis que dans la zone euro, la perte en mark to market d’ici la fin de l’année sera supérieure de l'autre cote de l'Atlantique que de ce côté-ci. Le raffermissement du dollar lié à des motifs conjoncturels devrait être annulé par celui de l'euro pour des motifs liés au jeu des marchés.

Est-ce à dire que les seuls éléments de langage de la BCE ne vont pas suffire à entraîner une baisse durable de l'euro ?
La donne pourrait évoluer au fur et à mesure que l'on se rapproche du premier relèvement du taux directeur. Nous en sommes encore un peu loin.

On voit d'ailleurs que les propos énoncés ici et la par les responsables de la BCE ont un impact limité.

La probabilité d'une intervention est donc grande ?
Elle l’est mais il n'est pas aisé d'indiquer un timing. Les conditions doivent s'y prêter. La BCE devrait attendre quelques mois, d’avoir toutes les cartes en mains, afin d’évaluer ce qu’il sera le plus judicieux de faire.

Quel type de décision la BCE pourrait prendre ?

La décision de la BCE devra alors avoir un effet d'annonce important. L'effet d'annonce d'une nouvelle diminution du taux directeur serait nul.
Elle aura le choix entre un taux de dépôt négatif et un quantitative easing. La levée de l'opposition par la Bundesbank milite plutôt pour le second point.
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