(Répétition sans changement d'une dépêche diffusée vendredi)

* Les Etats-Unis ont officialisé les droits de douane sur l'acier et l'aluminium

* Pour les analystes, le risque de guerre commerciale a augmenté

* L'effet sur le marché dépendra des mesures de rétorsion

* HSBC prévoit un impact de 0,3% sur les profits des sociétés US

par Blandine Henault

PARIS, 12 mars (Reuters) - Les récentes velléités protectionnistes des Etats-Unis ont fait office de piqûre de rappel aux marchés: en 2018, le risque de guerre commerciale s'annonce aussi important que celui d'une possible accélération de l'inflation.

La rhétorique protectionniste du président américain Donald Trump n'est certes pas nouvelle, mais les investisseurs avaient jusqu'ici privilégié les annonces concernant les mesures favorables à la croissance, comme la réforme fiscale et le plan d'infrastructures.

La décision de Donald Trump de taxer les importations d'acier et d'aluminium, qui a poussé à la démission son principal conseiller économique, Gary Cohn, a toutefois prouvé la détermination du président américain à mettre en oeuvre son programme "America First".

Pris de court, les investisseurs tentent désormais d'évaluer la probabilité d'une guerre commerciale de grande ampleur, qui viendrait freiner la croissance économique mondiale, et son impact sur les marchés.

UN PROTECTIONNISME AMÉRICAIN AFFICHÉ

Si les investisseurs se sont progressivement habitués au caractère imprévisible du président américain, "sur le commerce international, il faut lui reconnaître une certaine constance", pointe Tangi Le Liboux, stratège chez Aurel BGC.

Donald Trump a dénoncé l'accord de partenariat trans-pacifique (TPP), remis en cause l'accord de libre-échange nord-américain (Aléna) et s'est déjà emparé de l'arme des barrières douanières sur des produits spécifiques comme le bois d'œuvre canadien, les lave-linge et les panneaux solaires sud-coréens et chinois, rappelle-t-il.

"En décidant de taxer toutes les importations d'acier et d'aluminium, des matériaux indispensables à de nombreuses industries en aval, Donald Trump confirme qu'il est protectionniste et ne cherche pas réellement à sanctionner uniquement des pratiques anti-dumping", estime Tangi Le Liboux.

Avec pour conséquence un tollé international, et un regain d'aversion au risque sur les marchés. Est-ce la défiance affichée par Wall Street qui a convaincu Donald Trump d'assouplir sa position ?

Les Etats-Unis ont indiqué jeudi qu'ils restaient ouverts à la modification ou au retrait pays par pays des droits de douane sur l'acier et l'aluminium en fonction des relations militaires avec ses partenaires.

Le Canada et le Mexique seront pour leur part exemptés de ces taxes dans un premier temps et pour une durée indéterminée, la suite dépendant de la renégociation en cours de l'Aléna.

DES MESURES DE RÉTORSION POSSIBLES

Cette position relativement souple a permis d'apaiser les craintes des investisseurs. A Wall Street, le S&P 500 s'acheminait vendredi vers un gain hebdomadaire de plus de 3% après un repli de 2% la semaine précédente. En Europe, le Stoxx 600 a rebondi de 3,05% après une baisse de 3,7%.

Ce soulagement perceptible a toutefois de quoi étonner, alors que les conséquences de ces nouvelles barrières douanières restent encore difficilement mesurables.

Pour beaucoup d'investisseurs, le risque d'une guerre commerciale a bel et bien augmenté. Mais la probabilité d'un tel risque, et l'ampleur de son impact sur les marchés, dépendra essentiellement de la réponse apportée par les partenaires commerciaux des Etats-Unis.

"Une escalade des politiques protectionnistes constituerait un frein supplémentaire aux multiples de valorisation des actions mondiales, qui sont déjà bien au-dessus de leur moyenne et sous pression d'un resserrement des politiques monétaires et d'une hausse de la volatilité", préviennent les stratèges de HSBC.

La Chine et l'Union européenne ont d'ores et déjà prévenu qu'elles prendraient les mesures appropriées si nécessaire. Bruxelles, qui pourrait porter l'affaire devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), a menacé d'appliquer des tarifs douaniers de 25% sur les Harley-Davidson, sur le bourbon et sur les jeans Levi's.

Mais l'Union européenne espère bien, au final, faire partie des producteurs exemptés.

Du côté de la Chine, les analystes de Morningstar préviennent que les clients chinois pourraient, par exemple, annuler leur commande à l'avionneur Boeing. Avec un impact important: la Chine représente environ 20% du carnet de commandes de Boeing en nombre d'unités, selon eux.

UN IMPACT SUR LES SOCIÉTÉS AMÉRICAINES

D'après les calculs de HSBC, une hausse de 25% des droits de douane sur l'acier amputerait de sept milliards de dollars les bénéfices des entreprises américaines, soit un impact négatif de 0,3%.

Cette taxation, qui provoquerait une augmentation des coûts de fabrication, pénaliserait en particulier les secteurs de la construction et des transports, qui représentent respectivement 50% et 16% de la demande mondiale d'acier.

Le compartiment automobile américain pourrait quant à lui voir ses profits réduits de 5%, selon HSBC.

Les stratèges de la banque britannique rappellent que les mesures précédentes sur l'acier, comme celles décidées en 2002 par l'administration Bush, avaient eu un impact relativement bref et modéré sur les marchés d'actions.

Mais ils notent une différence de taille avec la situation actuelle: il y a 16 ans, les taxes décidées sur l'acier intervenaient dans une période marquée par la promotion des échanges et la libéralisation, donc loin des tentations protectionnistes actuelles.

Ils ajoutent que les marchés d'actions les plus pénalisés par la montée des tensions commerciales seront ceux qui présentent la plus forte exposition au commerce extérieur, à savoir l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse, Singapour, Hong Kong et Taiwan.

LE RISQUE INFLATIONNISTE N'EST PAS LOIN

Outre l'impact sur les entreprises, l'effet négatif des barrières douanières sur l'activité économique fait consensus.

"Les économistes vous diront que déclencher une guerre commerciale est une mauvaise décision quelles que soient les circonstances, mais le faire alors que vous êtes en train de stimuler une économie déjà presque au maximum de ses capacités est un cocktail macroéconomique toxique", avertit Lukas Daalder, directeur de l'investissement chez Robeco Investment Solutions, en référence aux récentes réductions d'impôts mises en oeuvre par Donald Trump aux Etats-Unis.

"En limitant la capacité du secteur extérieur à servir de soupape et à alléger la montée de certaines pressions au sein de l'économie intérieure, vous ne faites qu'augmenter les risques de surchauffe du système", explique-t-il.

Et de prévenir qu'une hausse de l'inflation en partie due à l'augmentation des droits de douane poussera certainement la Réserve fédérale à relever ses taux de manière plus agressive, ce qui neutralisera l'effet des réductions d'impôts.

D'autant que la hausse des salaires, quoique inférieure aux attentes, s'est confirmée en février aux Etats-Unis: le salaire horaire moyen a progressé de 2,6% sur un an le mois dernier, sur un marché de l'emploi toujours très dynamique.

Ou comment le risque protectionniste se conjugue, au final, au risque inflationniste.

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*Gestion-Les monétaires profitent à plein des incertitudes-BAML

(édité par Marc Angrand)