PARIS (awp/afp) - Les signaux d'alarme se multiplient chez Canal+ : entre le départ de personnalités clefs et la poursuite de l'hémorragie d'abonnés, la stratégie de Vincent Bolloré, patron de la maison mère Vivendi, pour inverser la tendance, est mise en doute.

Le présentateur du "Petit Journal" Yann Barthès, l'un des derniers représentants du mordant de l'"esprit canal", a annoncé cette semaine à l'AFP qu'il partait chez TF1, suivi quelques jours plus tard par Grégoire Margotton, commentateur sportif historique de la chaîne cryptée.

Le responsable du numérique du groupe Manuel Alduy devrait aussi quitter le navire avant l'été, sans qu'un successeur ait été annoncé.

Pendant ce temps, les abonnés continuent à faire défection en France: les abonnements avec engagement à Canal+ et au bouquet Canalsat ont reculé de 183.000 au premier trimestre à 8,28 millions, soit une perte de plus de 400.000 sur un an.

Inquiétant aussi, les abonnements à CanalPlay, le service de vidéo en ligne qui devait faire pièce à l'américain Netflix sont aussi en retrait sur un an de 86.000 pour s'établir juste en-dessous de 600.000.

Vivendi a promis mercredi de "nouvelles initiatives" pour regagner des abonnés en France et dit espérer commencer à remonter la pente au deuxième semestre.

"Restez à l'écoute, on vous en dira plus avant l'été", a indiqué Arnaud de Puyfontaine, le président du directoire, à l'occasion de la publication de ses résultats trimestriels.

Côté contenus, la chaîne cryptée qui a perdu la Premier League (championnat anglais) de football à partir de la saison prochaine emportée par SFR, va pouvoir se refaire en partie grâce au Top 14 de rugby (championnat de France) sur la période 2019-2023.

Le groupe semble tenté de sacrifier les programmes en clair pour doper l'offre cryptée réservée aux abonnés. Un choix risqué puisque les programmes en clair sont encore légèrement rentables grâce à des recettes publicitaires prévues à plus de 100 millions d'euros, et servent aussi de vitrine pour attirer de nouveaux abonnés.

Stéphane Courbit, patron de la société de production Banijay, a volé au secours de son associé Vincent Bolloré jeudi sur RTL.

"L'essentiel du +bashing+ fait sur Canal+ est fait sur la disparition des Guignols en clair, sur le fait que Yann Barthès pourrait s'en aller ou s'en va... Est-ce que vous croyez que les 400.000 personnes qui s'en vont (c'est) à cause de ça ? Je pense qu'ils s'en moquent totalement puisque c'était en clair jusque-là", a-t-il noté.

- "tableau noirci" -

Les annonces de Canal+ sont pour l'instant suspendues à l'avis que devrait donner l'Autorité de la concurrence avant la fin du mois sur l'accord de distribution exclusive passé entre Canal+ et son concurrent BeIn Sports.

En attendant, Vivendi s'est lui même attaché à dramatiser la situation. Le groupe a tiré la sonnette d'alarme en février en indiquant que Canal+ France perdait de l'argent depuis 2012.

"Le tableau a été noirci pour attendrir l'Autorité de la concurrence en vue d'un accord sur le +deal+ avec Bein Sports", assure à l'AFP Jean-Baptiste Sergeant, analyste médias pour Mainfirst. Ce chiffre reflète "uniquement l'édition des chaînes Canal+, sans parler de l'international ni de Studiocanal ni des chaînes gratuites".

Au total, même avec 400 millions de pertes opérationnelles pour Canal+ France, le groupe Canal+ ne risque en fait pas de tomber dans le rouge cette année alors que les activités internationales se développent bien.

Ces chiffres ont aussi le mérite de justifier en interne la "purge" de la direction et un programme de réduction des coûts qui s'est traduit notamment par une présence allégée des équipes de Canal+ à Cannes.

Les chaînes de TV gratuites du groupe - D8 et D17 - sont elles en pleine forme, grâce notamment à la popularité de Cyril Hanouna, le protégé de Vincent Bolloré avec des recettes en hausse de 11,5% au premier trimestre.

Et les pertes de Mediaset Premium (56,6 millions d'euros au premier trimestre) n'ont elles pas effrayé Vivendi qui a racheté ce bouquet de télévision payante italien à Mediaset, propriété de Silvio Berlusconi.

Même si Vincent Bolloré est allé jusqu'à évoquer un risque de faillite de Canal+, personne n'a intérêt à en arriver à cette extrémité, et surtout pas le secteur du cinéma dont Canal+ est le principal financier.

"Ils essaient d'améliorer, de changer leur modèle, c'est leur responsabilité (...) moi la mienne c'est de m'assurer qu'ils continuent de financer la création, ce qui est la contrepartie de leur autorisation (de diffuser dans une fenêtre plus favorable que les chaînes gratuites)", a souligné vendredi la ministre de la Culture Audrey Azoulay.

lgo/fka/tes