Casino a annoncé dimanche soir avoir été "sollicité depuis quelques jours par Carrefour en vue d'une tentative de rapprochement" et avoir réuni le même jour son conseil d'administration qui "a décidé à l'unanimité de ne pas donner suite à cette approche".

Quelques heures plus tard, Carrefour a démenti avoir sollicité Casino, s'étonnant "que l'on ait soumis au conseil d'administration de Casino une proposition de rapprochement qui n'existe pas".

Invoquant des "insinuations inacceptables" et disant être "concentré sur son plan de transformation", il fustige des "communications intempestives, trompeuses, et dénuées de tout fondement" pouvant être liées aux difficultés auxquelles sont confrontés Casino et sa maison-mère Rallye.

Interrogée, l'Autorité des marchés financiers (AMF) s'est refusée à tout commentaire. Selon une source proche du dossier, le régulateur boursier ne se saisira pas du dossier tant que les variations des cours de Bourse resteront modérées.

Compte-tenu de l'ampleur des chantiers en cours chez Carrefour - qui a entamé un vaste plan de transformation pour se redresser - et des obstacles que présenterait une telle opération en matière de concurrence et d'emplois, les investisseurs restent dubitatifs face à un possible rapprochement entre les deux groupes.

A 17h45, le titre Casino étaitr quasiment stable tandis que celui de Carrefour cédait 0,8% à 16,45 euros.

RENCONTRE ENTRE LES DEUX DIRIGEANTS

Mais les dirigeants de Carrefour et Casino se sont effectivement rencontrés le 12 septembre, pour discuter des opportunité qui pourraient s'offrir aux deux groupes, ont déclaré à Reuters deux sources proches du dossier.

Dans la foulée de la rencontre qui a eu lieu chez Alain Minc, conseiller de nombreux dirigeants et très proche de Jean-Charles Naouri, des avocats ont été mandatés par les deux parties pour réfléchir plus précisément aux options possibles, ajoute-t-on.

Cette rencontre a eu lieu alors que le titre Casino était en pleine tourmente boursière et touchait un plus bas depuis plus de 20 ans, menaçant le refinancement de Rallye.

Selon certains, Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, a pu vouloir "tester l'eau" et voir si son homologue Jean-Charles Naouri était prêt à vendre certains actifs comme Monoprix sa chaîne la plus rentable, tandis que de source proche de Casino, on évoque une proposition de rapprochement global, ce que dément Carrefour.

"La rencontre a eu lieu à l'initiative de Casino et Carrefour n'a jamais été à l'initiative d'un quelconque projet de rapprochement", a précisé ce dernier, dans un mail adressé à Reuters.

Des échanges entre avocats ont eu lieu jusqu'au milieu de la semaine dernière, jusqu'à ce que Casino demande un accord de confidentialité et de statu quo ("standstill agreement") par lequel les parties s'engagent à ne pas racheter de titres de l'autre pendant une période donnée.

Sans réponse de Carrefour, le PDG de Casino a décidé d'informer son conseil, puis de publier un communiqué.

Les observateurs s'accordent sur un point: celui de la nécessaire consolidation d'un marché français plombé par une offre pléthorique et une guerre des prix mortifère, et qui est en outre menacé par les ambitions du géant Amazon.

"La conjoncture est aujourd'hui favorable à une consolidation du marché français", commente Yves Marin, associé chez Bartle Consulting, qui rappelle que le sujet de la concurrence est certes complexe mais pas rédhibitoire.

Certains estiment qu'Alexandre Bompard peut vouloir aller vite dans son plan de transformation en reprenant certains actifs d'un groupe Casino très affaibli.

D'autres jugent peu probable le scénario d'un rapprochement.

"Je pense que c'est un exercice de communication de Casino contre les hedge. Le communiqué de Carrefour est assez cinglant et clair et Naouri est renvoyé dans ses buts", commente l'un d'entre eux.

Mis en difficulté par leur pile de dette, Casino et Rallye ont lourdement chuté en Bourse depuis le début de l'année, avant qu'une ligne de crédit accordée à Rallye n'allège un peu la pression sur Casino.]

Casino, attaqué par le fonds Muddy Waters pour son endettement son manque de transparence, est le titre plus vendu à découvert à la Bourse de Paris. Selon les données du site Shortsell.nl, au 21 septembre, 15,16% du flottant du groupe faisait l'objet de ventes à découvert de la part de hedge funds.

Le groupe a promis de nouvelles cessions d'actifs pour alléger sa dette, ce qui n'a pas empêché l'agence Standard & Poor's de dégrader encore d'un cran la notation.

Pour Ion-Marc Valahu, gérant de fonds chez Clairinvest, un rapprochement entre les deux groupes est peu réaliste. "Il y aurait trop de questions de concurrence", a-t-il dit.

Ce scénario semble aussi "très peu probable" à Bruno Monteyne, analyste de Bernstein, qui évoque "beaucoup de bruit inutile" à propos de ces communiqués successifs.

"Compte-tenu des gros problèmes de concurrence que cela poserait, ça semble étrange", a-t-il dit à Reuters, rappelant que Casino et Carrefour dominent à 72% le marché français de la proximité et qu'au Brésil aussi, ils seraient obligés de céder de très nombreux magasins.

Interrogé, le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux a estimé qu'il n’appartenait "évidemment pas au gouvernement de se prononcer sur des opérations éventuelles entre deux opérateurs privés" et rappelé que toute opération devait se faire dans le respect des règles de la concurrence.

(Avec Benjamin Mallet, Sudip Kar-Gupta, Blandine Hénault et Jean-Baptiste Vey, édité par Jean-Michel Bélot)

par Pascale Denis