"Quel regard portez-vous sur l’évolution des prix des matières premières agricoles ?
Concernant les tourteaux de soja et leurs dérivés que sont les tourteaux de colza, nous devrions encore connaitre des tensions au cours des deux prochains mois en raison du blocage des ventes par les Argentins.

Comment expliquez-vous ce blocage ?
En raison de la crise financière qui sévit en Argentine, les Argentins ont très peur d’une dévaluation du cours du peso. La meilleure manière de s’en protéger a alors été de conserver leurs stocks si bien que les usines argentines ne parviennent pas à trouver toutes les graines dont elles auraient besoin pour alimenter le marché.

Quelle est l’importance de l’Argentine dans ce marché du soja ?
Globalement leur production s’élève à 55 millions de tonnes. Le problème découle surtout du fait que c’est le seul soja disponible à l’heure actuelle.
Les tensions palpables sur le soja devraient se répandre sur le colza ?
Effectivement, l’un pouvant être utilisé à la place de l’autre pour recueillir la protéine.

Après ces deux mois de tensions, vous voyez une nouvelle détente sur ces deux compartiments ?

C’est ce que nous présageons du fait d’une très niveau de production très élevé aux Etats-Unis. Nos estimations sont bien supérieures à celles de l’USDA. Le nombre de gousses comptabilisés laisse présager que les autorités américaines réviseront à la hausse leurs chiffres dans leur prochain rapport. Nous devrions être autour de 105 millions de tonnes.
La baisse des prix sur le soja n’apparaitra cependant que lorsque la moisson sera faite aux Etats-Unis, autrement dit à compter du mois d’octobre.
La récolte de colza devrait également être abondante. Près de 24 millions de tonnes sont attendus rien que pour l’Europe. Une fois passée la demande additionnelle pour la trituration, le repli devrait également se dessiner sur cette matière première sauf reprise forte du marché des huiles.

La situation est quelque peu différente pour le tournesol ?
Le tournesol est aujourd’hui assez bon marché notamment par rapport au colza. Nous devrions avoir une remontée du prix. Ce d’autant plus que les conditions climatiques ne sont pas très propices sur la partie est de l’Ukraine et de la Russie et que les Argentins n’ont pas semé beaucoup de tournesol.
Par ailleurs, la sécheresse espagnole a considérablement réduit la production d’huile d’olive. Or l’huile de tournesol est un très bon produit pour remplacer l’huile d’olive. La demande devrait donc s’en trouver significativement accrue.

Comment voyez-vous les prix du soja, du colza et du tournesol varier ?
Nous anticipons un recul du prix du colza dans deux à trois mois de l’ordre de 5% à 8%. Nous devrions retrouver un prix de soja à 10 dollars sur le marché de Chicago dans un premier temps, contre 10,50 dollars aujourd’hui, et 14 dollars en janvier dernier. Nous pourrions descendre à 9 dollars autour de janvier 2015, ce qui suppose un potentiel de détente de 15% supplémentaires.
Le prix de tournesol à 300 euros aujourd’hui pourrait récupérer 20%.
Nous verrions ainsi la structure du segment des protéines reprendre une forme quelque peu normale : le prix de la tonne de soja inférieur au prix de la tonne de colza lui-même inférieur au prix de la tonne de tournesol.

Quels commentaires vous inspire le segment du maïs ?

Nous devrions avoir sur le mais une récolte nord américaine très importante. Cela est déjà bien intégré dans les prix de marché.
Aujourd’hui le prix du maïs est très bas, autour de 3,60 dollars le boisseau contre 7 dollars en début d’année.

Nous ne voyons pas le prix encore baisser mais plutôt se stabiliser. Si la production américaine devrait se situer au dessus des 356 millions de tonnes annoncés, autour de 360 millions de tonnes ; il nous semble que la prévision de production pour la Chine est trop forte compte tenue de la sécheresse observée ces dernières semaines. Nous verrions plutôt cette production entre 200 et 205 millions de tonnes au lieu de 220 millions de tonnes. Pour l’heure les chiffres sur la production chinoise n’ont pas encore été ajustés et intégrés par le marché.
En outre, nous pressentons que certains pays d’Amérique du sud et l’Ukraine vont abaisser leur production de maïs.

Pour quelles raisons ?
Le Brésil qui avait beaucoup développé sa production lorsque les prix étaient plus hauts n’est plus compétitif sur certaines zones. Pour transporter du mais du Mato Grosso au port de Paranagua, cela coûte plus de 120 dollars. Ainsi, le coût d’acheminement ne couvre même pas le coût de production.
Nous devrions en conséquence avoir une diminution significative de la production de maïs en 2015 à la fois au Brésil et en Argentine. Pour ce dernier pays, entre également en ligne de compte le fait que cela coûte beaucoup moins cher de produire du soja que du maïs. Le maïs n’est intéressant à semer que lorsque le ratio soja/mais est de 1,5 en Argentine, 2,2 aux Etats-Unis. Ce ratio est à 2,8 sur les positions mars 2015 (date de la récolte d’Argentine) et à 2,5 sur les positions de novembre 2015 (date de récolte aux Etats-Unis).

Quelle analyse faites-vous du segment du blé ?
Il y a lieu de distinguer le blé fourrager et le blé meunier. Nous avons eu de mauvaises conditions climatiques dans les zones de production de blé de qualité, notamment aux Etats-Unis et en Europe.
En Ukraine alors que nous avons habituellement 30% de blé fourrager, nous en avons plus de 50% cette année.

Quel est le prix actuel du blé fourrager et du blé meunier ?
Le prix du blé fourrager est aujourd’hui d’environ 157 euros contre 188 euros en janvier et le prix du blé meunier est de 175 contre 210 euros en début d’année.

Comment pourraient évoluer ces prix ?
Le recul sur le blé fourrager qui a été de 20% depuis le début de l’année n’est pas terminé. Nous pourrions aller jusqu’à 30% de baisse d’ici la fin de l’année.
Le prix du blé meunier devrait, quant à lui, se stabiliser à un niveau élevé. La demande de blé meunier est forte. Si bien que l’Europe est en train d’importer du blé meunier et du blé de force (du blé de très haute qualité) pour réajuster les lots.

715 millions de tonnes sont anticipés pour la production mondiale de blé. Qu’en pensez-vous ?
Il ne devrait pas y avoir de problème sur le volume total de la production. Le doute pèse davantage dans la répartition blé meunier et blé fourrager. Nous connaissons encore mal la proportion de chacun des blés car l’analyse exacte des récoltes qui n’est pas encore terminée notamment en Ukraine et en Russie est encore en cours.

Quelle vision avez-vous à présent du segment des viandes ?
Nous avons assisté à une hausse du prix de la viande porcine aux Etats-Unis en raison d’un problème sanitaire qui existe depuis six mois, le PEVD. La maladie ne permet pas à tous les porcelets d’arriver à maturité. Nous avons alors eu une diminution très sensible de la production de porcs outre Atlantique qui a abouti à un renchérissement du prix de près de 40% entre janvier et juin.
Cette baisse de la production aux Etats-Unis s’est matérialisée par un recul des exportations américaines vers les pays asiatiques qui se sont retournés plus massivement vers l’Europe. Cela a été salutaire pour les producteurs de porcs européens.
Les prix de la viande porcine devraient rester soutenus voire pourraient encore gagner en ampleur en raison de la réapparition du problème sanitaire aux Etats-Unis. Le PEVD est très lié aux conditions climatiques. Le taux de mortalité est plus élevé lorsqu’il fait très froid. Ainsi avec l’été, une relative détente a pu se mette en place. Toutefois la maladie n’a pas été éradiquée. On ne sait pas très bien comment la traiter. Il se peut que de nouvelles tensions réapparaissent au cours des prochains trimestres.

Une détente pourrait ensuite se manifester dans un an. Ayant des prix élevés sur la viande porcine et des baisses de prix de soja et de mais, les marges sont en train d’augmenter considérablement pour les éleveurs. Ces derniers vont commencer à mettre en place des augmentations de production qui devrait se matérialiser sur le marché dans 12 mois.

Qu’en est-il de la production de viande de volaille ?
La production de viande de volaille devrait repartir rapidement. Les cycles de production sont très courts : 3 semaines de couvaison et 3 mois de production.
La baisse des prix des matières premières va inciter les opérateurs à développer plus massivement la viande de volaille. Les prix ne devraient pas aussi bien résister que pour la viande porcine.

Quid de la viande bovine ?

Il y a deux ans, le prix du mais ayant beaucoup monté, à 7-8 dollars, les éleveurs bovins qui font de l’élevage intensif se sont retrouvés avec des coûts de production négatifs. De manière à endiguer les pertes liées à l’alimentation des animaux, ils ont intensifié l’abattage. Cela a conduit à une baisse manifeste des prix il y a un an et demie.
Nous sommes à présent dans une situation où les prix des bovins sont redevenus chers et devraient le rester. 9 mois de gestation et 3 ans pour la reproduction sont nécessaires avant que la viande ne soit consommable.

Quelles répercussions attendez-vous de l’embargo décidé par la Russie sur la viande européenne ?

Je n’en attends aucun effet. Les frontières russes sont déjà fermées aux porcs européens depuis six mois du fait d’une maladie contagieuse trouvée sur des porcs lituaniens exportés en Russie.
S’agissant de la viande bovine, la demande n’est de toute façon pas satisfaite. Que les russes n’achètent pas, ce n’est pas très grave, car il y a des débouchés ailleurs. Je ne pense pas que l’on ait de grandes inquiétudes à avoir là-dessus.

L’embargo devrait surtout avoir des répercussions sur les produits laitiers et les fruits et légumes. Il est possible de congeler la viande, de stocker le blé mais pas les produits frais.

A quelles conséquences devraient conduire la baisse des prix des matières agricoles ?

2% de surproduction dans le monde c’est 20% de baisse de prix. 2% de sous production c’est 20% de baisse de prix. Les ajustements se font à la marge.
La baisse de prix pousse dans un premier temps à limiter les surfaces. Pour ma part je vais remettre 4% de ma ferme en jachère.
Pour protéger les marges, l’investissement est ensuite destiné à s’amoindrir pour traiter les cultures : mois de produits phytosanitaires, moins d’engrais. Ce sont les rendements moyens qui baisseront.
Enfin, il est procédé à certains arbitrages. Je vais cultiver mois de mais et plus de luzerne cette année car le coût de production est très bas.

Quels risques identifiez-vous pour le marché à ce jour : le conflit en Ukraine, El Nino ?
Pour le moment il n y a pas de problème d’approvisionnement au niveau des ports ukrainiens. Néanmoins nous avons des équipes en Ukraine qui nous disent qu’il y aura des destructions de culture mais elles sont à ce stade difficiles à quantifier. Le risque de voir des effets défavorables importants sur le marché n’est pas très fort cette année car l’Ukraine n’a pas beaucoup de blé meunier et qu’il y a du blé fourrager en abondance.

De janvier à juin, les probabilités de voir le phénomène El Nino se développer n’ont fait que croitre. Depuis trois mois ces probabilités baissent.
El Nino est sensé affecter la zone Pacifique, Australie, Nouvelle Zélande, Indonésie, Malaisie... Il est tombé beaucoup de pluie dans ces pays.
S’il y a un El Nino il sera de très faible intensité. La production est tellement abondante qu’elle devrait compenser les effets défavorables d’un petit El Nino le cas échéant.

Une telle hypothèse est vérifiée par la courbe des prix des huiles végétales par rapport au prix du pétrole. Nous n’avions par le passé jamais vu les huiles végétales moins chères que le pétrole. C’est le cas actuellement. Cela suppose que les opérateurs ne croient plus à El Nino car il affecte en général l’Asie et les productions de Palme, première huile végétale consommée dans le monde.

Que voulez-vous dire ?
Lorsque les probabilités de voir El Nino gagner de l’ampleur étaient en hausse, les opérateurs se couvraient en huile.

Quelles sont alors vos principales sources d’inquiétudes ?
Nous pourrions être inquiets par la sécheresse des terres en Amérique du Sud. Toutefois nous avons encore deux mois pour semer le mais et le soja et il y a tellement de stocks de mais qu’il faudra du temps pour le résorber. Le risque n’est donc pas très critique.

Le risque principal que nous pouvons garder à l’esprit concerne l’importance de la production de mais en Chine. Mais il faut encore du temps pour en mesure les impacts.

*Les données chiffrées mentionnées datent du 22 août 2014
*Offre et Demande Agricole est une société de conseil indépendante
qui accompagne les professionnels des filières agricoles (agriculteurs, coopératives, négociants) dans la gestion du risque de prix.

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