Dans les faits, le mariage envisagé de longue date se traduit par une prise de contrôle du groupe français par son concurrent allemand, qui détiendra 50% du capital et pourra ensuite acquérir des actions d'Alstom au plus tôt quatre ans après la clôture de la transaction attendue fin 2018.

Par souci d'équilibre dans une fusion politiquement très sensible des deux côtés du Rhin, la France obtient la direction générale de Siemens Alstom, nom du nouveau groupe coté à Paris, et dont le siège sera en région parisienne.

Siemens apportera son activité Mobility à Alstom en échange d'actions nouvellement émises par le français, précisent les deux groupes dans un communiqué commun.

Le conseil d'administration de Siemens Alstom, qui comptera 11 membres, comprendra six administrateurs désignés par Siemens, dont quatre indépendants.

Le directeur général sera Henri Poupart-Lafarge, l'actuel patron d'Alstom, et le président non exécutif sera un Allemand, a précisé une porte-parole d'Alstom.

Jochen Eickholt, l’actuel directeur général de Siemens Mobility, devrait assumer une "responsabilité importante" dans la nouvelle entité, disent les deux groupes sans plus de précision.

Ce nouvel ensemble représentera 15,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires - contre 37 milliards estimés pour CRRC en 2018 - et emploiera 62.300 personnes.

Pendant quatre ans, il s'engage à ne pas fermer de sites et à maintenir ses niveaux a minima de R&D et de sous-traitance locale, un argument crucial un an après le psychodrame créé par le projet avorté de fermeture du site d'Alstom à Belfort.

Le ministre français de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, s'est ainsi félicité dans un communiqué de ces engagements qui préservent l'emploi tout en ancrant mieux Alstom à l'international.

"Cette opération illustre la volonté du gouvernement français de renforcer l’Europe industrielle et l’économie européenne", fait valoir Bruno Le Maire à la veille d'un sommet franco-italien très attendu, qui devrait concrétiser une alliance entre Paris et Rome dans le secteur naval.

Présenté comme un "rapprochement entre égaux" par Bercy, le projet de fusion prévoit que Siemens s'engage à ne pas détenir plus de 50,5% du capital du nouvel ensemble pendant quatre ans après la clôture de la transaction.

Mais au bout de cette période, Siemens disposera de bons de souscription d’actions lui permettant d’acquérir des actions d’Alstom représentant 2% de son capital.

PRIME ET DIVIDENDE POUR LES ACTIONNAIRES D'ALSTOM

Jusqu'à présent rivaux, Siemens et Alstom comptent renforcer encore un carnet de commandes combiné de 61,2 milliards d'euros et affronter CRRC grâce à des offres plus intégrées, comprenant la signalisation et les services.

Alstom et Siemens tablent sur 470 millions d’euros de synergies annuelles au bout de quatre ans au plus tard, espérant réduire leurs coûts d'achats et de recherche et développement. Ils évaluent leur bénéfice d’exploitation combiné à 1,2 milliard d’euros, donnant une marge de 8,0%.

Siemens Alstom, qui compte sur une trésorerie nette comprise entre 500 millions et un milliard d'euros à la clôture de l'opération, prévoit de verser aux actionnaires d'Alstom une prime de contrôle de quatre euros par action et un dividende exceptionnel d'un maximum de quatre euros par action.

Le groupe déboursera ainsi 1,8 milliard d'euros financés par les quelques 2,5 milliards d'euros tirés des options de vente d’Alstom dans les coentreprises avec General Electric.

En se rapprochant de Siemens, Alstom tourne une nouvelle page de son histoire, près de deux ans après avoir cédé son pôle énergie à GE.

Siemens, déjà actionnaire du français Atos depuis 2011, a accompagné la montée en puissance de la SSII dirigée par Thierry Breton dont les ventes et la capitalisation boursière ont explosé depuis le début de la décennie.

BOUYGUES EN PROFITE POUR SE LAISSER DILUER

La fusion permet aussi à Bouygues de se désengager d'Alstom, dont il détient 28% actuellement, puisqu'il se laissera diluer dans le nouvel ensemble.

Bouygues, qui attendait l'occasion de solder l'aventure Alstom après plus de dix ans à son capital, s'est engagé à conserver ses actions jusqu'à l'assemblée générale extraordinaire appelée à approuver l'opération au plus tard le 31 juillet 2018.

L’Etat français a confirmé de son côté mettre fin au prêt de titres Alstom consenti par Bouygues qui arrivait à échéance le 17 octobre prochain, tout en précisant qu’il n’exercerait pas les options d’achat données par Bouygues.

Les actionnaires d'Alstom se prononceront aussi sur l’annulation des droits de vote double qui devrait intervenir au cours du second trimestre 2018.

La transaction est également soumise à la confirmation par l'Autorité des marchés financiers (AMF) qu'aucune OPA ne devra être lancée par Siemens après la réalisation de l’apport.

Si Alstom décidait de ne pas poursuivre l’opération, le groupe français devrait payer une indemnité de rupture de 140 millions d’euros.

Avant la confirmation de l'opération, Alstom a clôturé en hausse de 0,64% à 33,64 euros à la Bourse de Paris (+28,5% depuis le début de l'année) et Siemens a cédé 0,09% à 116,55 euros à Francfort (-0,2% cette année).

L'opération porte un coup dur à Bombardier, qui avait mené des discussions avec Siemens, selon des sources proches du dossier, et doit faire face à des accusations de dumping de Boeing concernant le prix de son nouvel avion, le CSeries.

(Avec Jean-Baptiste Vey, Gilles Guillaume, Gwénaëlle Barzic, Mathieu Protard, Maya Nikolaeva et Dominique Rodriguez, édité par Bertrand Boucey)

par Cyril Altmeyer et Alexander Hübner