New York (awp/afp) - Menacée d'une amende de 14 milliards de dollars aux Etats-Unis, Deutsche Bank pourrait être tentée par une stratégie inédite pour convaincre les autorités américaines d'alléger l'addition finale: agiter le spectre d'une déstabilisation du système financier international.

La première banque allemande, accusée d'avoir vendu en toute connaissance de cause, entre 2006 et 2008, des crédits immobiliers toxiques convertis en produits financiers (RMBS), a assuré qu'elle "n'a pas l'intention" de payer ce montant ou une somme avoisinante.

Très inhabituelle, cette prise de position publique vise, indique à l'AFP une source proche du dossier, à être le plus transparent possible au moment où la banque montre d'inquiétants signes de faiblesse.

Sa capitalisation boursière a fondu de 50% pour tomber sous les 17 milliards de dollars, un niveau quasi identique à celui de Twitter, et une grosse amende risquerait de ramener le niveau de ses fonds propres règlementaires sous le seuil psychologique de 10%, affirme Stephen Ellis chez MorningStar.

- Points forts -

"Ces faiblesses de Deutsche Bank peuvent finalement se révéler des points forts dans les négociations" avec le département de la Justice (DoJ), fait remarquer l'avocat new-yorkais James Kousouros, familier des négociations avec les régulateurs.

L'amende finale dont va écoper Deutsche Bank va, de fait, dépendre de la solidité financière de la banque, indique à l'AFP une source proche du dossier.

Les autorités américaines pourraient ainsi freiner leurs ardeurs par peur de plonger dans une grave crise une banque que le FMI estime être la plus susceptible au monde de causer des dommages, par effet domino, en cas de faillite.

Elles ont d'ailleurs déjà par le passé fait preuve de mansuétude à l'égard de Citigroup, une banque considérée comme ayant été aussi active que Deutsche Bank dans les RMBS, en lui infligeant une amende de 7 milliards de dollars alors que le ministère demandait initialement 12 milliards.

Contactés par l'AFP, ni Deutsche Bank ni le DoJ n'ont souhaité commenter.

Mais le patron de Deutsche Bank a tenté de rassurer en affirmant dans un article paru mercredi que la première banque allemande n'avait pas besoin d'aides de l'Etat.

"Ce n'est pas un sujet pour nous", a répondu John Cryan, interrogé par Bild, sur un possible besoin d'aides de l'Etat. "Je n'ai à aucun moment demandé de l'aide à la chancelière" Angela Merkel, a ajouté M. Cryan.

L'hebdomadaire allemand Die Zeit affirme dans un article à paraître mercredi qu'"En dépit de tous les démentis, le gouvernement allemand et les autorités de surveillance financière compétentes préparent un plan de sauvetage en cas de situation critique pour Deutsche Bank".

Aux Etats-Unis, Deutsche Bank, qui a prêté au moins 2 milliards de dollars depuis 1998 à Donald Trump et ses entités, exerce des activités de marché, de financement de projets d'entreprises et de gestion de grosses fortunes, de sorte qu'elle a dû créer récemment une holding (DB USA Corporation) pour se conformer à une nouvelle législation qui va la soumettre aux mêmes règles de liquidités et de gestion des risques que les établissements américains.

Elle accompagne en outre les grosses entreprises allemandes à l'export.

- Survivre -

Plus inquiétant, la banque est exposée à hauteur de 46.000 milliards (soit plus de treize fois le PIB de l'Allemagne), dont 20 milliards en net, aux produits dérivés, qui sont des instruments financiers utilisés pour couvrir les risques liés à la spéculation, selon ses comptes 2015.

En 2007, l'exposition nette de Lehman Brothers à ces "armes financières de destruction massive", selon l'expression du milliardaire Warren Buffet, était de seulement 2,93 milliards de dollars.

Autrement dit, si Deutsche Bank était en grandes difficultés, il serait difficile de la renflouer, ce qui conduirait à une contagion dans le système financier allemand et par effet de domino dans le système financier mondial.

"Le DoJ sait qu'il va y avoir des ramifications terribles si elle met Deutsche Bank à genoux", avance M. Kousouros.

"C'est la règle du +too big to fail+ (trop grosse pour faire faillite, NDLR). Plus une banque est grosse, plus il est difficile de la laisser tomber. Quand elles font faillite, ça fait beaucoup de dégâts", poursuit l'avocat.

"Si je représentais une banque dans une situation identique, je mettrais en avant le fait qu'une grosse amende va nuire gravement à son activité, que la banque sera poussée à licencier beaucoup de monde et aura du mal à survivre. Le DoJ est souvent réceptif à ce type d'arguments et évalue les effets d'une grosse amende sur l'activité de la banque", renchérit Alan Futerfas, dont le cabinet a notamment défendu des entités accusées de violation d'embargo contre l'Iran.

Les marchés financiers ne cachent plus leur impatience de connaître le sort de Deutsche Bank, d'autant que la chancelière allemande Angela Merkel semble avoir écarté un renflouage public.

afp/rp