"Quel regard portez-vous sur la toile de fond macroéconomique qui prévaut aux Etats-Unis et en Europe ?
Nous récusons l’idée d’une récession à venir pour l’économie mondiale, en particulier pour les Etats-Unis. Les indicateurs avancés nous paraissent encore bien orientés. Ainsi en est-il de l’estimation en temps réel de la croissance du PIB calculé par la Fed d’Atlanta qui s’établit pour le trimestre en cours à +2,5% sur un rythme annuel, après selon les chiffres officiels une croissance de +0,8% au premier trimestre.
Du côté de la zone euro, l’indice PMI composite est ressorti en mai à 52,9, en ligne avec une croissance d’environ 1,5% cette année.
A la fois l’économie américaine et l’économie européenne sont portées par la consommation des ménages. Les ventes au détail sont en progression de 3% sur un an aux Etats-Unis et de 2,1% dans la zone euro. S’ajoute à ce premier moteur outre Atlantique, celui de l’immobilier.

L’environnement de croissance modeste se justifie par l’existence d’éléments défavorables ?

Un point faible semble résider dans l’activité industrielle. L’industrie est un peu au point mort aux Etats-Unis. L’ISM manufacturier s’est élevé en mai à 51,3. Cela s’explique très probablement par le fort repli du cours du pétrole qui a conduit à une régression drastique des investissements.
Le même phénomène se retrouve en Europe de manière moins marquée. L’indice PMI manufacturier se situe à 51,5 pour le mois de mai.
Une autre zone d’ombre a trait aux résultats des entreprises. Les chiffres du premier trimestre 2016 sont globalement en recul sur un an.

Pensez-vous que les éléments défavorables pourraient prendre le dessus sur les éléments favorables ?

La consommation ayant un rôle bien plus important dans la composition du PIB américain et européen, nous restons pour l’instant sereins sur la persistance de la dynamique aux Etats-Unis et en Europe.

Vous excluez totalement le postulat d’une fin de cycle économique aux Etats-Unis ?

Absolument. Nous admettons cependant que la croissance potentielle américaine est structurellement plus faible en raison notamment du creusement des écarts de revenus au sein de la population et de la demande plus faible qui en résulte.

Dans l’environnement actuel, des chocs exogènes pourraient-ils venir contrarier cette relative sérénité ?

Deux sujets agitent actuellement le marché : le risque de Brexit et l’excès d’endettement en Chine.
Nous ne sommes pas particulièrement inquiets sur ces deux points. Nous ne considérons pas, pour l’heure, que ces deux menaces pourraient être constitutives de chocs externes susceptibles de faire dérailler la croissance que nous connaissons.

Pour quelles raisons ?

Deux idées fortes sont mises en avant par ceux qui redoutent le Brexit. En premier lieu, la rupture des liens commerciaux entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sera source d’une forte baisse des exportations anglaises. Ensuite, face à la perte de sa qualité de porte d’entrée dans l’Union européenne, le Royaume-Uni devrait subir une substantielle réduction des investissements internationaux.

A notre sens ces deux analyses sont excessives. Dans les deux années de négociations qui suivraient une réponse positive apportée à la sortie, le Royaume-Uni et l’UE parviendront à s’entendre sur des accords commerciaux qui reconduiront les conditions de commerce entre les deux blocs. Aucune des parties n’a intérêt à jouer la politique de la terre brulée. Le Royaume-Uni a un déficit commercial vis-à-vis de l’UE. Il est difficile d’envisager dans un contexte de croissance modérée les autorités européennes s’entêter à vouloir punir le Royaume-Uni au risque de se tirer une balle dans le pied.

S’agissant des investissements, la flexibilité du marché du travail britannique, associée à une fiscalité attrayante, devraient continuer à attirer les investisseurs internationaux. Même si nous pourrions avoir une diminution des investissements dans les mois qui suivent la décision du Brexit du fait de l’incertitude qui planera, nous sommes d’avis qu’à moyen terme, nous ne verrons pas un effondrement sur ce terrain.

Des impacts négatifs du Brexit ne sont-ils pas à attendre pour l’Union européenne, et pour la zone euro ?

La sortie du Royaume-Uni sera assurément un mauvais message envoyé à la construction européenne. Cela ranimera sans doute les volontés souverainistes ou indépendantistes dans d’autres pays européens. Cependant nous ne voyons pas de pays européen susceptible de prendre le chemin du Royaume-Uni. Les enquêtes d’opinion indiquent qu’il y a tout de même un fort attachement à la monnaie unique au sein des populations .

Quid de la deuxième grande source d’angoisse relative à l’endettement en Chine ?

La dette en Chine a indéniablement gonflé au cours de ces dernières années notamment du fait des multiples plans de relance lancés par les autorités après la crise de 2008.
Toutefois, si l’on compare la dette globale en Chine par rapport à celle des Etats-Unis, celle-ci ne nous parait pas totalement démesurée. Si l’on additionne la dette des entreprises, celle des ménages, celle de l’Etat, la dette des banques : le ratio équivaut à 246% du PIB chinois. Ce même ratio se situe à 350% du PIB aux Etats-Unis.
En outre, les autorités chinoises ont bien conscience de l’enjeu et affichent une ferme volonté de remédier à la situation tout en veillant à ne pas affecter exagérément la dynamique de croissance.
Dans ces conditions nous ne tablons pas sur un « hard landing » en Chine ni sur une dévaluation brutale de la devise domestique.

Quels commentaires vous inspirent le volume des créances douteuses dans le système bancaire chinois ?

Même si nul n’a une visibilité claire sur la part de l’engagement des banques chinoises sur laquelle il y a un éventuel problème de recouvrement de créance, il est évident qu’une véritable interrogation en la matière est soulevée.
Ce qui peut rassurer c’est le fait que les autorités chinoises ne sont pas restées silencieuses sur le dossier et ont indiqué leur intention de réaliser des audits dans les banques pour avoir une idée bien plus précise. Les grandes banques chinoises étant publiques, la gestion de ce déséquilibre se fera par le gouvernement dans la durée avec la volonté de ne pas générer de panique.
Ceci étant, nous ne voyons pas l’économie mondiale subir un choc violent du fait de la Chine.

Au-delà du maintien d’une certaine croissance et de la jugulation des risques existants, votre optimisme est également fondé sur l’activisme des grandes banques centrales…

Depuis la crise de 2008, les banques centrales n’ont plus d’états d’âme pour agir activement en particulier en injectant une abondante liquidité dans le système. La BCE a bien montré qu’elle était prête à utiliser tous les leviers à sa disposition pour conserver des taux bas. Parallèlement, la Fed fait preuve d’une grande prudence pour ne pas ébranler la conjoncture et déstabiliser le marché par le processus de normalisation de sa politique monétaire. Vraisemblablement la hausse des taux directeurs n’aura pas lieu ce mois-ci au regard des derniers chiffres de créations d’emplois.

Que répondez-vous à ceux qui avancent que les grandes banques centrales occidentales sont arrivées à court de munitions ?

Les grandes banques centrales occidentales peuvent difficilement aller plus loin dans la baisse des taux auquel cas elles se heurteraient à un risque de fuite devant la monnaie. Typiquement si les comptes courants venaient à être ponctionnés par les banques, les épargnants pourraient être tentés de retirer leur argent.
Une baisse des taux supplémentaire sera sans grand effet sur la croissance.
Le relais doit être pris par la mise en œuvre de réformes structurelles d’envergure par les gouvernements.

En revanche, les banques centrales sont toujours en mesure d’utiliser la planche à billets afin de stabiliser le système financier en cas de chocs exogènes.

Les réformes structurelles peinent à voir le jour dans une envergure suffisante ?

C’est justement la faiblesse des réformes structurelles, y compris dans un avenir proche, qui nous poussent à ne pas escompter une croissance bien plus vigoureuse au cours des prochaines années.

A quelle allocation d’actifs, votre scénario central vous conduit-il ?

Nous investissons dans des actifs risqués mais ne sommes pas très agressifs dans notre positionnement. Nous privilégions les actions, le crédit d’entreprise et dans des proportions plus limitées la dette émergente. Ainsi dans un de nos fonds patrimoniaux d’allocation diversifiée, M&G Prudent Allocation, l’exposition actions est de 20%. Nous avons essentiellement des actions de la zone euro considérant le niveau de valorisation attrayant en relatif- le PER est de 14 sur l’Eurostoxx 50- et quelques actions japonaises. Nous n’avons pas d’actions américaines car nous estimons le marché trop cher.

Sur le crédit, nous pensons qu’il y a encore du potentiel à la fois dans l’investment grade et dans le high yield malgré le fort rétrécissement des spreads sous l’impulsion des annonces de la BCE du mois de mars et du rebond du cours du baril. L’enclenchement prochain des opérations d’achat des titres de dette d’entreprise par la BCE devrait être un des catalyseurs. Dans notre fonds patrimonial, le crédit représente 26% des encours.

Dans la dette émergente nous sommes investis dans de la dette argentine, indonésienne, colombienne en devise locale. Elle représente 11% du fonds.
Le reste du portefeuille est composé de monétaire. Nous ne sommes pas enclins à être acheteurs sur la dette souveraine des pays développés.

La proportion des actifs risqués est donc de 57%. Celle-ci a-t-elle vocation à augmenter à court terme ?

Cette proportion a été quelque peu réduite il y a six semaines et a été depuis stabilisée.
Nous attendons d’avoir des signaux plus positifs sur l’industrie et sur les résultats d’entreprises en Europe et aux Etats-Unis pour être plus agressifs.

Pensez-vous que ces signaux seront réunis d’ici fin d’année ?
Telle n’est pas notre hypothèse centrale pour le moment. Il est important de noter que notre appétit pour les actions européennes n’est pas tellement fondé sur une embellie du côté des résultats des entreprises mais sur des critères de valorisation. Nous pensons que dans un univers de taux très bas, les investisseurs accepteront de payer plus cher des actions pour récupérer un surplus de rendement. Le PER à 14 sur l’Eurostoxx 50 pourrait monter à 16.
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