"Je vous annonce que nous avons pris la décision d’exercer le droit de préemption de l’État sur STX", a annoncé le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire lors d'une conférence de presse, s'attirant de vives critiques de Rome.

Cette décision, "prise en plein accord" avec le président de la République et le Premier ministre, a un seul objectif : "défendre les intérêts stratégiques de la France en matière de construction navale", a-t-il dit.

Sans jamais prononcer le mot de nationalisation, Bruno Le Maire a souligné que cette mesure ne serait que temporaire, les chantiers de Saint-Nazaire n'ayant pas vocation à rester sous le contrôle de l’État français.

Elle "doit nous donner le temps de négocier dans les meilleures conditions possibles la participation de Fincantieri", a-t-il précisé, en reconnaissant que le groupe public italien était le seul intéressé par STX France.

A ces fins, il a indiqué qu'il se rendrait à Rome dès mardi pour reposer les bases d'une discussion avec ses homologues italiens et s'est dit confiant de trouver "dans les semaines qui viennent un accord satisfaisant pour les deux parties."

"NOUVEL ÉQUILIBRE"

L'Etat français possède un tiers de STX France et disposait jusqu'à ce vendredi d'un droit de préemption sur le solde du capital, dont Fincantieri a été désigné au printemps comme repreneur auprès de sa maison mère sud-coréenne en difficulté.

Bruno Le Maire a chiffré le coût du rachat des deux tiers promis au groupe italien à 80 millions d'euros, qui seront pris en charge par l'Agence des participations de l'Etat.

La menace d'une nationalisation temporaire de STX France avait déjà été brandie par le dernier gouvernement de François Hollande lors de la négociation d'un premier accord qui a abouti à un partage de son capital à hauteur de 54%-46% entre la partie italienne (dont 48% pour Fincantieri) et des intérêts publics français (l'Etat et Naval Group, l'ex-DCNS).

Mais dès fin mai à Saint-Nazaire, à l'occasion d'un de ses premiers déplacements sur un site industriel après son arrivée à l'Elysée, Emmanuel Macron se prononçait pour un "nouvel équilibre" actionnarial à ce "partenariat industriel" franco-italien.

Paris a alors proposé une parité à 50-50, "avec une voix prépondérante" au conseil d'administration pour le président, qui serait nommé par Fincantieri.

Ce dernier insiste depuis pour que l'accord initial soit honoré et son administrateur délégué, Giuseppe Bono, a réagi aux dernières prétentions françaises en déclarant que son groupe n'avait pas un "besoin à tout prix de STX France [nL5N1KI3P9].

Bruno Le Maire a justifié les nouvelles exigences de la France par la nécessité, en cas de retournement de conjoncture, de garantir le maintien de l'emploi et du savoir-faire des chantiers de Saint-Nazaire, les seuls capables en France de construire des paquebots mais aussi mais aussi de très grandes coques comme celle d'un porte-avions.

NOUVEAU DÉLAI FÂCHEUX

"Nous voulons avoir toutes les garanties, je dis bien toutes, que ces savoir-faire ne partiront pas un jour dans une autre grande puissance économique mondiale non-européenne", a-t-il ajouté, dans une allusion à l'accord de coopération noué par Fincantieri avec un groupe de construction navale chinois.

Dans un communiqué, la direction de STX France a pris acte de la décision du gouvernement, "en cohérence avec les principes de préservation des intérêts nationaux exprimés par le président de la République à Saint-Nazaire le 31 mai dernier."

"Ce nouveau délai est fâcheux car il prolonge une longue période d’incertitude qui est nuisible à notre entreprise, notamment au développement de nos activités nouvelles et au montage de nos financements", a-t-elle toutefois ajouté.

Le maire socialiste de Saint-Nazaire, David Samzun, a salué de son côté, une décision qu'il juge "tant inévitable que primordiale" du fait du "comportement incertain du groupe italien Fincantieri".

Le ministre de l'Economie Pier Carlo Padoan et son homologue à l'Industrie Carlo Calenda ont vivement critiqué cette décision "grave et incompréhensible".

"Le nationalisme et le protectionnisme ne sont pas un socle acceptable sur lequel établir des relations entre deux grands pays européens", disent les deux ministres dans un communiqué.

Ce bras de fer est d'autant plus mal ressenti en Italie que le pays a été confronté ces dernières années à une série d'acquisitions visant plusieurs de ses fleurons, souvent à l'initiative de groupes français et parfois de manière amicale, comme la fusion Luxotticca-Essilor, mais aussi hostiles, comme la montée au capital de Mediaset du groupe Vivendi, par ailleurs premier actionnaire de Telecom Italia.

(Myriam Rivet et Yann Le Guernigou, avec Guillaume Frouin à Nantes, édité par Yves Clarisse)