Peut-on gérer efficacement en bourse l’atterrissage d’une société de croissance ? Les actionnaires d’Iliad ont eu tout le loisir de méditer la question ces quatre dernières années. La maison-mère de Free a atteint un plateau boursier, même si ses résultats affichent une croissance supérieure à celle de ses rivaux, dans le sens où son âge d’or est terminé. Finis les gains d’abonnés outrageusement supérieurs à ceux de la concurrence, envolée en partie la course en tête sur les tarifs et surtout, évaporée l’avance technologique longtemps affichée par l’entreprise. Pour autant, il n’y a aucune régression dans le modèle Iliad. Son rôle de trublion et l’éclatant succès de sa percée aussi bien dans le fixe que dans le mobile ont forcé ses concurrents à repenser leurs offres. Les rivaux sont montés en gamme en s’alignant autant que faire se peut sur la nouvelle référence du secteur, qui a perdu son avance… et qui peine sur le marché.
 

Le premier graphique montre bien que depuis 2008, le modèle Iliad a largement surperformé les indices et le secteur...

 

... mais ces quatre dernières années, les à-coups sont nombreux et le bilan final est moins flatteur


Cet ajustement par le haut n’explique pas à lui seul une certaine perte d’attractivité du dossier en bourse. La contre-attaque d’Orange, SFR et Bouygues Telecom a aussi coïncidé avec une période de flottement chez Free, c’est indéniable. Les attentes étaient élevées sur les « box » les plus récentes, mais elles ont généralement été déçues. La stratégie est devenue moins lisible, notamment à l’international avec des aspirations américaines qui ne se sont pas concrétisées, des investissements en Suisse et en Irlande portés par l’actionnaire principal mais pas par la société elle-même ou le prochain lancement en Italie, sur un marché que les analystes s’accordent à juger plutôt difficile et où la concurrence a eu tout le loisir de fourbir ses armes : Free ne pourra pas y prendre tout le monde par surprise comme cela fut le cas en France.

Investissements et innovation nécessaires

Le management de Free l’a bien compris, même s’il n’a plus la même marge de manœuvre qu’auparavant. Ces derniers mois, les dirigeants sont montés au créneau pour expliquer que la prochaine Box renouera avec l’esprit d’innovation qui a fait défaut au cours des derniers trimestres. Elle est attendue d’ici la fin de l’année, comme le lancement en Italie. Deux événements majeurs qui vont conditionner le futur boursier de la société. Si le succès n’est pas au rendez-vous, Iliad aura du mal à se détacher des variations boursières d’un secteur des télécoms peu habitué aux grandes envolées. Le bureau d’études Morgan Stanley a pris la décision, le 23 avril 2018, de passer négatif sur le dossier en coupant de manière spectaculaire son objectif de cours (de 210 à 165 euros, pour une cotation actuelle voisine de 170 euros). Il craint un ralentissement de la croissance assez marqué et une faible génération de cash-flow libre, conséquence des investissements nécessaires à contrer une concurrence qui ne désarme pas. La banque américaine est d’ailleurs sceptique sur les objectifs de moyen terme et ne vise que 850 millions d’euros de cash-flow libre en 2020, alors que la société table sur 1 milliard d’euros. L’analyste insiste sur la part de risque qu’emporte le dossier : son modèle économique lui laisse peu de latitude pour compenser des surcoûts d’investissement avec des mesures d’économies.

Malgré la « défection » de Morgan Stanley, les professionnels gardent en majorité une opinion positive. Ils sont 59% (sur 22 analystes) à afficher un avis positif, pour un objectif moyen de 226 euros. Mais l’amplitude de la fourchette d’objectifs montre que le débat fait rage entre eux : elle va de 130 euros pour l’analyste le plus pessimiste à 320 euros pour le plus optimiste. Il y a un an, cette fourchette était beaucoup plus resserrée : 160 à 257 euros. Prudence donc sur un dossier qui se retrouvera sous le feu des projecteurs à partir de la rentrée prochaine. Xavier Niel et son équipe doivent renouer avec l’esprit pionnier de l’entreprise, au risque de faire rentrer Iliad définitivement dans le rang.