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BERLIN (awp/afp) - "Nous voulons devenir la voix européenne sur le marché de la notation!" Depuis son bureau donnant sur le Tiergarten, vaste parc situé au coeur de la capitale allemande, Torsten Hinrichs expose posément ses folles ambitions.

La petite agence de notation qu'il dirige, Scope Ratings, entend réussir là où d'autres ont échoué et peser face aux américains Standard and Poor's, Moody's et Fitch qui règnent sans partage sur la notation mondiale.

Les émetteurs d'obligations - entreprises ou institutions - rémunèrent ces agences pour qu'elles évaluent leur solvabilité, à l'aide d'une note de crédit - la meilleure étant généralement le fameux "triple A". Plus la note est bonne, et plus il sera facile de lever des fonds sur le marché, à de bonnes conditions.

Scope Ratings a franchi une nouvelle étape en août en décrochant un premier mandat de notation auprès d'une entreprise du Dax -l'indice vedette de la Bourse de Francfort-, le spécialiste allemand des gaz Linde.

Mais face aux "Big Three" qui contrôlent 92% du marché européen, la tâche reste gigantesque pour l'agence, qui compte environ 60 employés dont 35 analystes. Sa part de marché en Europe était de à 0,14% en 2014 selon l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), et se situe actuellement autour de 1%, selon les estimations internes de Scope.

- Spécificités européennes -

Au total, 26 agences de notation ont l'agrément de l'AEMF, dont le français Spread Research, le canadien DBRS, l'italien Crif ou encore l'espagnol Axesor.

L'allemand se voit en principal architecte d'une consolidation du marché européen très morcelé. Il a investi environ 20 millions d'euros au cours des trois dernières années, et ouvert des bureaux à Londres, Paris, Madrid et Milan.

"Nous discutons avec d'autres agences européennes. Nous avons tous comme objectif de faire contre-poids aux Américains", explique M. Hinrichs.

"La demande pour des approches alternatives de la notation est depuis longtemps élevée", assure le patron, qui explique pratiquer des prix "plus réalistes" que le trio anglo-saxon qui profite de sa domination sur le marché.

Scope Ratings mise sur une approche différente de la notation, moins mécanique et plus subjective, et prend en compte des spécificités des entreprises du Vieux Continent. Par exemple les structures de propriété familiale, synonyme de stabilité, les matelas de liquidités ou encore les engagements relatifs aux retraites, mal reflétés par la méthodologie des agences américaines.

C'est ce qui a séduit Haniel, holding familiale de Duisbourg (ouest), qui a fait appel à Scope Ratings en début d'année, tout en maintenant ses mandats avec Moody's et S&P.

"Notre approche de holding d'investissement, en tant qu'entreprise familiale avec des perspectives à long terme, est mieux comprise par une agence de notation européenne", observe pour l'AFP le porte-parole d'Haniel, Dietmar Bochert.

- Des banques et Quimper -

D'abord spécialisée dans la notation de fonds et de PME, l'agence née en 2002 veut aujourd'hui couvrir toutes les classes d'actifs et note tous azimuts banques, entreprises, ou encore collectivités territoriales. Elle a notamment un mandat avec la ville française de Quimper depuis 2015.

Elle a même étendu sa couverture aux Etats en rachetant cette année l'allemand Feri EuroRating, qui évalue 59 dettes souveraines.

D'autres avant Scope se sont déjà cassé les dents: le cabinet allemand Roland Berger a ainsi tenté de lancer une agence de notation européenne, avant d'y renoncer en 2012, faute de financement.

Depuis la crise financière de 2008, le monde politique est prompt à décrier la toute-puissance des agences anglo-saxonnes. Mais une récente réglementation européenne, censée doper la concurrence en encourageant les émetteurs à consulter des agences avec moins de 10% de part de marché, reste cependant un "tigre de papier" car sans contrainte aucune, déplore M. Hinrichs, qui a passé quinze ans aux manettes de S&P en Allemagne.

Détenu par des acteurs traditionnels de l'économie allemande, comme la famille Schöller ou Stefan Quandt, héritier de la famille actionnaire de BMW, Scope Ratings reconnait mettre aujourd'hui davantage l'accent sur la croissance que la profitabilité - l'agence est déficitaire, même si M. Hinrichs tait les chiffres.

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