par Andrew Callus et Wiki Su

PARIS, 11 août (Reuters) - Les touristes chinois qui visitent chaque année les grandes villes du monde craignent de devoir réduire leurs emplettes si la soudaine dévaluation du yuan de mardi entraîne une brusque chute de leur pouvoir d'achat.

Plus de 100 millions de Chinois voyagent à l'étranger chaque année et ils achètent plus de produits de luxe qu'aucune autre nationalité. Pouvoir s'offrir des parfums et des vêtements de haute-couture, pour des prix parfois deux fois plus bas qu'en Chine, est une incitation très forte à voyager pour eux.

"J'avais prévu d'aller à Séoul en août avec des amis puis de en Thaïlande seule en octobre. Mais le yuan a été fortement dévalué aujourd'hui et j'ai peur qu'il ne le soit encore plus", estime Xuechang Huang, une femme de ménage de 48 ans de Guangzhou (Canton), contactée par Reuters via l'application Wechat.

"Alors je pense que je ne vais pas aller à Séoul pour faire du shopping, mais seulement en Thaïlande pour visiter le pays", a-t-elle ajouté.

Même décision pour Huang Ruifen, propriétaire d'une boutique de Guangxi, actuellement à Hong-Kong pour faire des achats. "Je vais arrêter d'acheter des produits de luxe tant que le yuan ne sera pas remonté", déclare-t-elle.

La Chine a dévalué sa monnaie de près de 2% mardi, après la publication d'indicateurs économiques jugés décevants. Certains économistes estiment qu'il ne pourrait s'agir que d'une première étape.

Bien que restreinte, il s'agit de la plus forte baisse depuis la dévaluation massive de 1994, et elle semble aller à l'encontre de la politique du yuan fort prônée jusqu'ici.

Les investisseurs ont rapidement parié que des groupes comme LVMH, propriétaire de Louis Vuitton, Kering, propriétaire de Gucci, ou encore L'Oréal pourraient souffrir. Les actions de ces groupes faisaient partie des plus fortes baisses de la Bourse de Paris ce mardi, marquant des chutes entre 2,4 et 5,4%. Contactées, ces sociétés n'ont pas souhaité faire de commentaire.

ACHETER A L'ETRANGER POUR REVENDRE CHEZ SOI

Les touristes chinois ont dépensé des sommes record en produits de luxe cette année, selon des données d'un rapport publié en avril par Global Blue, gestionnaire de remboursement de la TVA. En particulier, la faiblesse de l'euro avait rendu les destinations européennes attrayantes.

Des analystes estiment que les dépenses chinoises dans le secteur du luxe comptent pour près de 45% du marché mondial, là où elle ne pesait dans les faits rien il y a dix ans. Les touristes chinois représenteraient également plus d'un tiers des dépenses dans le secteur du luxe européen, selon les mêmes analystes.

Malgré la réaction du marché, les conséquences potentielles de la dévaluation ne sont pas uniformes pour l'industrie.

Selon Global Blue, près de 40% des achats de touristes chinois sont destinés à être revendus chez eux et un yuan plus faible pourrait simplement rapatrier ces ventes en Chine.

Les marges du secteur du luxe sont également en général plus élevées en Asie, même si la dévaluation pourrait effacer une partie des bénéfices des entreprises européennes.

"D'une façon générale, je pense que cela sera sûrement négatif", estime Christopher Walker, analyste spécialisé sur le secteur du luxe chez Nomura.

"C'est de plus en plus dur à surveiller", ajoute-t-il. "Toutes les sociétés du luxe essayent de gérer à la fois leurs prix et ces écarts. Cela rajoute simplement une autre inconnue dans le calcul du prix, ce qui complique actuellement la gestion d'une entreprise de luxe."

Quoi qu'il en soit, les montant concernés sont énormes et en rapide croissance.

L'organisation mondiale du tourisme a distingué la Chine comme le pays ayant le plus dépensé à l'étranger en 2014, avec 165 milliards de dollars, en hausse de 28% par rapport à 2013. La dépense chinoise n'était que de 3,7 milliards de dollars il y a à peine 20 ans.

LE LOGEMENT ET LES DÉPENSES SCOLAIRES

Le prix d'un sac à main n'était pas la seule chose qui préoccupait les touristes chinois après la dévaluation de mardi, selon un certain nombre d'entre eux interrogés à travers le monde.

Les agences immobilières de Hong Kong craignaient pour le marché local, alors que les étudiants de Pékin s'inquiétaient de la hausse des frais des écoles en dehors de Chine.

Mais pour l'instant, les adeptes du shopping restent déterminés à profiter de leur pouvoir d'achat tant qu'il subsiste.

"On peut acheter plus de en Australie. Par exemple, des bottes Ugg coûtent 1.000 yuans en Chine, alors qu'elles sont à 200 yuans en Australie", a constaté Kou Meng Nan, une étudiante de 20 ans venue de Pékin pour faire des emplettes à Sydney pendant 12 jours.

Le commerce tournait comme prévu également aux Galeries Lafayette, dans le centre de Paris où des touristes chinois se ruaient dans le grand magasin, déposés là en bus. Avant la dépréciation de mardi, le yuan avait progressé de 15% par rapport à l'euro depuis le début de 2014.

"Cela devrait nous assurer que cette dévaluation n'a aucune conséquence significative", a déclaré Catherine Oden, directrice Chine pour Atout France, agence de promotion officielle du pays. "De toute façon, c'est la fin de la saison pour les Chinois."

Mais pour certains, bien sûr, tout n'est pas une question de prix.

"C'est une très mauvaise nouvelle pour moi", reconnaît Tommy Liu, 27 ans, rencontré à l'extérieur d'une boutique Channel de Hong-Kong, où il attendait sa petite amie.

"Que le yuan soit en hausse ou en baisse, j'achèterais n'importe quoi pour la rendre heureuse." (Avec Martinne Geller, Ingrid Melander, Yimou Lee, Emma Yang, Fathin Ungku, Charlotte Greenfield, Joseph Sotinel pour le service français, édité par Cyril Altmeyer)

Valeurs citées dans l'article : L'OREAL, LVMH, KERING