Par Khadeeja Safdar et Sharon Terlep

Sephora est devenu un distributeur incontournable pour les cosmétiques haut de gamme, notamment aux Etats-Unis, mais également un rival de poids pour les fabricants de ce type de produits.

La chaîne de parfumeries est en plein essor. Elle ouvre de nouveaux magasins, voit ses ventes augmenter et constitue une alternative bienvenue pour des groupes comme L'Oréal (>> L'Oreal) ou Estée Lauder (>> Estee Lauder Companies Inc) au moment où certains grands magasins, affectés par la baisse de leur clientèle, ferment leurs portes.

Cependant, au contraire des distributeurs Macy's ou Saks Fifth Avenue, Sephora et son propriétaire, le géant du luxe LVMH (>> LVMH), concurrencent désormais les fabricants de cosmétiques avec leurs propres gammes de produits de beauté.

Ainsi, les marques de cosmétiques de LVMH peuvent occuper près de la moitié des rayons de la section maquillage d'une boutique Sephora. Pourtant, le groupe français ne dispose que de 15 marques de cosmétiques, à comparer aux plus de 200 vendues chez Sephora.

Chez Sephora, chaque marque "doit gagner sa place", explique Artemis Patrick, responsable du merchandising chez Sephora. "La composition de notre gamme est déterminée par les clientes, en fonction de ce qu'elles achètent et recherchent", ajoute-t-elle.

A la recherche de nouveaux canaux de distribution

Cette situation constitue un casse-tête pour les marques de cosmétiques. Nombre d'entre elles sont de plus en plus dépendantes de Sephora pour assurer leur croissance, mais elles sont confrontées à des espaces de vente de plus en plus en restreints dans les boutiques du distributeur spécialisé, LVMH faisant de la place à ses propres marques. Dans ce contexte, de nombreuses marques cherchent de nouveaux canaux de distribution.

Pour vendre ses produits chez Sephora, qui possède plus de 2.300 boutiques dans le monde, les marques peuvent reverser jusqu'à plus de 60% des ventes réalisées, un pourcentage plus élevé que dans la plupart des grands magasins et parfumeries spécialisées, selon des personnes proches du dossier. Cependant, les grands magasins facturent séparément les frais de personnel et certains autres coûts.

Par conséquent, les marques de cosmétiques tentent de distribuer elles-mêmes une part plus importante de leurs produits. Estée Lauder a ainsi développé son propre site internet et les magasins MAC Cosmetics, tandis que L'Oréal a ouvert des boutiques pour vendre sa marque Urban Decay.

Certains fabricants de produits de beauté vendent également leurs marques haut-de-gamme chez d'autres distributeurs, moins chers que Sephora, comme Ulta Salon Cosmetics & Fragrance.

Difficile de contrer les exigences de Sephora

Capitaliser sur d'autres canaux de distribution n'est toutefois pas toujours facile pour les fabricants de cosmétiques, Sephora exigeant l'exclusivité sur certains produits. Ainsi, Sunday Riley, fondatrice de la marque éponyme de produits de soin pour la peau, a pu commercialiser son huile vedette Luna chez Sephora en concédant l'exclusivité de ses nouveaux produits au distributeur pendant six mois.

Dans d'autres cas, Sephora a tenté de réduire la distribution sur d'autres plateformes. Le distributeur a exigé de Nars Cosmetics, filiale du groupe japonais Shiseido, qu'il retire ses produits du site spécialisé dans les cosmétiques de luxe de Amazon.com. La marque a obtempéré, selon une personne impliquée dans les négociations.

Certaines marques ont cependant choisi de s'émanciper. Chanel, un des principaux rivaux de LVMH, ne vend plus ses produits de maquillage dans les boutiques du distributeur aux Etats-Unis depuis une dizaine d'années, mais le groupe continue d'y vendre ses parfums. Frédéric Fekkai, une marque de produits capillaires, a également été retirée des rayons de Sephora voilà quelques années après avoir élargi la distribution de ses produits aux distributeurs grand public, ont indiqué des personnes proches du dossier.

Les nouvelles marques, pilier de la stratégie de croissance de LVMH

Le lancement de nouvelles marques de cosmétiques constitue une partie importante de la stratégie de croissance de LVMH, ont indiqué d'anciens cadres du groupe, malgré la concurrence que cela crée avec les autres marques vendues chez Sephora. La branche de développement de produits de LVMH, Kendo, a fait partie de Sephora jusqu'à sa scission en 2014. Kendo dispose actuellement de cinq marques, toutes vendues chez Sephora, et prévoit d'en lancer de nouvelles.

Pendant des années, Kendo a eu accès aux chiffres de ventes du distributeur, ce qui lui a permis d'obtenir des informations sur des niches en forte croissance, selon des personnes proches du dossier. Ces informations sont encore utilisées par Sephora pour le lancement des produits de sa propre ligne, Sephora Collection, ont-elles précisé.

Avec les prix d'entrée de gamme de Sephora Collection, le distributeur cherche à attirer de nouveaux clients, qui ensuite acquièrent d'autres marques, selon une porte-parole de Sephora. Et bien que Sephora ne fournissent pas ses chiffres de ventes aux autres marques, le distributeur leur communique des retours qui "leur permettent d'affiner leurs gammes", ajoute Artemis Patrick.

Interrogé sur Sephora et sa dureté en affaires, le directeur général de Revlon (>> Revlon Inc), Fabian Garcia, a marqué un temps d'arrêt. "En pratique, je ne dirai jamais qu'un client est dur", a-t-il répondu. "Mais je dirai qu'ils sont sûrs d'eux."

-Khadeeja Safdar et Sharon Terlep, The Wall Street Journal

(Version française Valérie Venck) ed: ECH

Valeurs citées dans l'article : L'Oreal, Revlon Inc, Estee Lauder Companies Inc, LVMH