Malgré le ralentissement de la deuxième économie mondiale, l'augmentation des dépenses de la jeune génération chinoise, peu affectée par la lutte contre la corruption et l'affichage du luxe, incite les géants du secteur à moderniser certains magasins et à en ouvrir de nouveaux dans des villes de moindre importance où la croissance du marché est plus forte.

Les jeunes gens, qui absorbent environ 30% des ventes du secteur en Chine, sont moins sensibles aux facteurs macroéconomiques, notent les dirigeants des groupes concernés.

"On constate l'émergence en Chine d'une classe supérieure ou moyenne supérieure très vigoureuse", a souligné Jean-Paul Agon, PDG de L'Oréal, lors d'une conférence téléphonique avec des analystes financiers. "Et ce qui a changé est que désormais les 'millennials' de cette classe (...) n'ont absolument aucune hésitation à acquérir des produits de luxe."

Souvent enfants uniques choyés, les membres de la génération des 20-34 ans ont commencé très jeunes à acheter des marques de luxe et ils réalisent des achats plus fréquents, attirés par tout, des bijoux à la mode, en passant par les cosmétiques et les sacs à main.

Ils choisissent aussi généralement de rester dans leurs villes de province, évitant la vie chère des grandes métropoles comme Pékin et Shanghai, un mouvement favorisé par l'industrialisation et l'urbanisation rapide du pays.

La croissance du chiffre d'affaires du secteur du luxe en Chine a été de 15 à 20% au premier semestre, estime Daniel Zipser, associé au cabinet d'étude McKinsey, basé à Shanghai.

CRAINTES D'UNE GUERRE COMMERCIALE

Les Chinois achètent plus de 500 milliards de yuans (64 milliards d'euros) de produits de luxe par an, soit près du tiers du marché mondial du luxe, selon un rapport de McKinsey.

Les grandes marques, de Gucci, filiale de Kering, au britannique Burberry en passant par Hermès, ont toutes fait état d'une bonne résistance de la demande chinoise pour leurs produits au deuxième trimestre, en dépit de l'escalade des tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis qui a assombri les perspectives économiques.

La part des ventes réalisées en Chine augmente rapidement, notent plusieurs dirigeants du secteur. Cette tendance est favorisée par deux décisions des autorités chinoises: une baisse des droits de douane sur certains produits, que les grandes marques ont répercutée sur leurs prix, et la mise en place d'obstacles aux achats en ligne sur des sites étrangers. La fermeté de l'euro au début de 2018 a également découragé les touristes d'acheter pendant leur voyage en Europe, rapportent les dirigeants.

Les prix des produits de luxe en Chine, qui étaient nettement plus élevés qu'en Europe et aux Etats-Unis, diminuent progressivement. Les taxes ont également été abaissées de 7% à 17%, ce qui a contribué a la modération des prix.

La marque italienne de vêtements Moncler a abaissé ses prix de 3,5% en moyenne en Chine depuis juillet, tandis que Gucci, Louis Vuitton et Hermès ont eux aussi réduit leurs prix.

POUSSÉE DES VILLES MOYENNES

Pour capter la clientèle jeune, les grandes marques mondiales s'implantent de plus en plus loin des mégalopoles, qui étaient auparavant les moteurs de leur croissance en Chine.

Hermès va ouvrir en septembre un magasin à Xi'an, ville impériale du centre du pays où Prada en a déjà ouvert sept depuis le début de l'année. LVMH a ouvert une boutique à Wuhan, une ville de 11 millions d'habitants, et Chaumet s'est implanté à Wuxi, près de Shanghai.

Néanmoins, les groupes de luxe s'inquiètent des conséquences potentielles des tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis sur la demande au second semestre.

Le directeur financier de LVMH, Jean-Jacques Guiony, a averti des analystes en juillet des risques potentiels de la hausse des droits de douanes aux Etats-Unis.

"Bien que l'industrie du luxe ne soit pas en première ligne dans cette affaire, un tel risque aurait certainement quelques conséquences négatives pour nous", a-t-il dit.

De même, les marques ont développé leur offre numérique pour attirer les clients chinois.

Louis Vuitton et Gucci ont créé des sites chinois de vente en ligne l'an dernier et Hermès devrait en faire de même d'ici la fin de l'année.

(Avec Giulia Segreti à Milan, Sarah White à Paris et les bureaux de Shanghai et Pékin, Juliette Rouillon pour le service français, édité par Bertrand Boucey)

par Farah Master et Donny Kwok