NEW YORK (awp/afp) - Apporter une identité virtuelle aux réfugiés, assurer aux donateurs que leur argent est bien utilisé, distribuer plus facilement l'aide d'urgence: la blockchain, la technologie à la base des cryptomonnaies, touche aussi le monde de l'humanitaire où les expérimentations se multiplient.

L'Unicef, l'agence des Nations unies dédiée à la protection de l'enfance, a réuni fin 2017 au Kazakhstan 150 ingénieurs russophones spécialistes de cette technologie, qui permet de stocker et de transmettre des informations sur un grand registre informatique de façon transparente et sécurisée.

Leur défi? développer un "contrat intelligent" permettant de faciliter les relations entre l'organisation et ses nombreux partenaires en rendant automatique l'avancement du contrat (livraison, paiement, etc.) lorsque certaines conditions sont remplies.

"Cela n'a abouti à rien", remarque toutefois en souriant Christopher Fabian, en charge du fonds dédié à l'innovation à l'Unicef. "Mais on a beaucoup appris et on recommence cette année à Mexico".

Avide de nouveautés, l'agence a lancé fin janvier un appel d'offre destiné aux start-up de la blockchain "ayant le potentiel de rendre service à l'humanité".

Unicef France a aussi démarré l'opération "Game Chaingers": elle propose aux geeks et adeptes des jeux vidéos d'installer sur leur ordinateur un logiciel permettant de générer de l'ethereum, une monnaie virtuelle, au profit des enfants syriens.

"On en est encore au tout début", et "le phénomène de mode autour de la blockchain va probablement voir émerger cette année tout un tas de projets +voués au bien commun+ qui pour la plupart échoueront", estime M. Fabian. Mais l'Unicef se prépare.

- Distribution d'argent -

Pour les organisations humanitaires ou d'aide au développement, le blockchain, technologie à l'origine du bitcoin, peut être déclinée à divers niveaux.

Les donateurs de monnaie virtuelle pourraient par exemple suivre à la trace l'argent transmis à une organisation.

La plateforme Disberse, soutenue par un réseau regroupant 42 organisations humanitaires, a déjà testé l'an dernier l'envoi d'argent par une association britannique à quatre écoles au Swaziland.

En interne, cette technologie peut théoriquement réduire les frais de transaction, diminuer la corruption en rendant tout transparent, permettre un meilleur suivi de l'acheminement de l'aide alimentaire ou assurer que les médicaments ne sont pas contrefaits.

Les responsables de programmes distribuant directement de l'argent aux personnes dans le besoin y voient également un moyen de contrôler plus facilement le versement des fonds ou de se passer d'intermédiaires financiers comme les banques.

"Autrefois on distribuait de l'aide depuis l'arrière d'un camion, maintenant on passe de plus en plus souvent par le versement d'argent sous forme de cash, de coupons, de cartes électroniques", rappelle Alex Sloan, responsable innovation au Programme alimentaire mondial des Nations unies (Pam).

L'organisation a lancé un projet pilote en Jordanie: dans le camp d'Azrak, des réfugiés syriens peuvent désormais s'identifier grâce à leur iris au moment de passer à la caisse des supérettes. Le montant dû est alors enregistré dans un programme informatique développé à partir d'une blockchain.

Ce programme reste privé et est pour l'instant utilisé uniquement par le Pam, relevant ainsi plus de la base de données que d'une véritable blockchain. Mais, remarque M. Sloan, cela peut devenir "un outil de collaboration entre divers partenaires rendant le secteur bien plus efficace".

- Pas de règle -

L'expansion de la blockchain ne va pas sans risque.

Outre les contraintes techniques, comme la nécessité d'avoir accès à internet, se posent des questions de fond sur la gouvernance ou la protection des données.

Comment s'assurer que les informations sur les réfugiés ne seront pas piratées par des régimes dictatoriaux? Qui authentifie les données entrées sur la blockchain? Quels pays accepteront les portefeuilles virtuels?

"Il est difficile d'avancer sans avoir de cadre réglementaire", remarque Rosa Akbari, conseillère technologie pour l'ONG américaine Mercy Corp.

Cette organisation a récemment rejoint les entreprises Microsoft et Accenture dans l'Alliance ID2020, un projet travaillant sur un modèle d'identité virtuelle pouvant servir aux réfugiés. "On veut mieux comprendre ce qui se passe et avoir notre mot à dire", justifie Mme Akbari.

La blockchain a un potentiel énorme mais manque encore de maturité, juge-t-elle. Dans des Etats fragiles, face à des populations en détresse, "les conséquences peuvent être terribles si on ne mène pas ces projets de façon responsable".

jum/jld/faa/ab/cj