NEW YORK (awp/afp) - Procter & Gamble, le propriétaire des rasoirs Gillette, affronte mardi un influent financier américain au cours d'une assemblée générale sous haute tension dont l'issue pourrait créer un précédent dans l'équilibre des pouvoirs entre les multinationales et les actionnaires actifs.

Vers 14H00 GMT ce jour-là, les yeux des milieux d'affaires américains seront tournés vers Cincinnati (Ohio, nord-est), siège du groupe, connu à travers le monde pour ses produits ménagers et d'hygiène dont les lessives Ariel et les shampoings Head & Shoulders.

Cette assemblée générale mettra fin à une guerre livrée à grand renfort d'invectives par médias interposés depuis plusieurs mois.

La direction, emmenée par le PDG David Taylor, 59 ans, parviendra-t-elle à maintenir fermée la porte du conseil d'administration à Nelson Peltz ? Les investissements de ce financier de 75 ans dans un grand nombre de sociétés se sont traduits par les départs des dirigeants, des cures d'austérité et des versements de gros dividendes aux actionnaires.

Au-delà de la personne du milliardaire, c'est l'avenir des relations entre les grands patrons et ces actionnaires en quête de retour sur investissements rapides, baptisés "activistes", qui se joue.

Procter & Gamble est en effet la plus grosse proie en terme de capitalisation boursière - 235 milliards de dollars - ciblée par un actionnaire activiste. Lors de son dernier exercice fiscal, le groupe a enregistré des ventes de 65 milliards de dollars pour un bénéfice de 15,3 milliards.

M. Peltz, dont le fonds d'investissement Trian Partners détient pour 3,5 milliards de dollars d'actions Procter & Gamble, soit environ 1,47% du capital, réclame un siège au conseil d'administration. Cette instance, composée de 11 membres, qui approuve les orientations stratégiques, peut démettre le PDG et valider sa rémunération.

- Combat serré -

Il reproche pêle-mêle au groupe de ne pas avoir anticipé la transformation du secteur des biens de consommation et d'avoir perdu du terrain face à ses concurrents (Unilever et L'Oréal) et aux jeunes pousses dont les innovations technologiques ont permis de séduire les "Millennials", la génération des 17-35 ans.

Il prend exemple des rasoirs Gillette rachetés 57 milliards de dollars en 2005. Lors des cinq dernières années, la part de marché de Gillette est passée de 62% à 49% aux Etats-Unis, affirme M. Peltz. Dans le même temps, Dollar Shave Club, le leader de la vente de rasoirs en ligne, et le fabricant Harry's se sont imposés en créant des liens étroits avec les jeunes consommateurs. Pour éviter d'être dépassé, Unilever n'a pas hésité à casser sa tirelire pour racheter Dollar Shave Club.

"L'entreprise est dans une transformation qui produit des résultats positifs", réplique le PDG David Taylor. "Presque tout est en train de changer et la compagnie est bien positionnée pour accroître ses parts de marché, ses marges et les retours sur investissements aux actionnaires".

M. Taylor n'a eu de cesse lors des derniers mois de vanter un plan d'économies en cours de 10 milliards de dollars et une réorganisation ayant vu Procter & Gamble se délester de 100 marques dont les piles Duracell.

Les petits actionnaires --environ 2,9 millions--, qui doivent participer à l'élection des membres du conseil, détiennent la clef du bras de fer, s'accordent les experts.

"Cela va être très serré", a reconnu vendredi Nelson Peltz, qui a reçu le soutien des trois grands cabinets américains de conseils aux actionnaires, ISS, Glass Lewis et Egan-Jones. "Cela peut aller dans un sens comme dans l'autre", souscrit Joe Agnese, analyste chez CFRA.

Pour lui, "ce ne serait pas une catastrophe si (M. Peltz) n'entrait pas au conseil mais avoir un conseil avec des gens ayant des idées différentes est quelque chose de positif".

Les deux parties, qui ont mobilisé cabinets d'avocats spécialisés et personnels dédiés -- 450 personnes pour P&G et 200 pour Nelson Peltz -- ont prévu de dépenser au total 60 millions de dollars. C'est la campagne la plus chère jamais engagée entre une direction et un actionnaire.

Nelson Peltz, présent au capital de Danone, General Electric, PepsiCo entre autres, a connu jusqu'ici une seule défaite. C'était en 2015 face à la direction du chimiste DuPont. Mais peu après, la PDG Ellen Kullman avait démissionné, octroyant à M. Peltz sa revanche.

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