Prenons le cas concret d’Apple, qui occupe la première place des entreprises usant de cette stratégie, en rachetant ses propres actions pour une coquette somme de 150 milliards de dollars entre 2012 et 2017. Le groupe à la pomme a décidé d’aller encore plus loin, en annonçant lors de la présentation des résultats trimestriels, une extension du programme de rachats d’actions de 175 à 210 milliards de dollars d’ici à 2019. En termes d’estimations, les analystes prévoient un résultat net de l’ordre de 52,5 milliards de dollars en 2019, soit un BNA de 10,9 USD. L’hypothèse (restrictive) que le prix moyen de rachat sera de 150 USD par titre, se traduit par une annulation de près de 1,5 milliard d’actions sur les 5,3 milliards déjà en circulation. Par conséquence, le BNA post rachat s’établit à 13,4 USD, en hausse de 23% par rapport à la situation initiale.
Evolution du S&P 500 par rapport à son indice de rachats d’actions
Une grande partie de la performance du S&P 500 provient de ces techniques. L’indice BuyBack est calculé de sorte à capturer la performance des 100 titres du S&P 500 présentant les ratios de rachats d’actions les plus élevés au cours des douze derniers mois. Ces titres, qui mènent des stratégies de rachats d’actions, ont nettement surperformé l’indice et accélèrent donc la hausse de ce dernier.
Par ailleurs, il convient de souligner que ces rachats d’actions étaient particulièrement faibles durant la crise de 2008. Pourtant, c’était potentiellement le meilleur moment pour ces groupes de racheter leurs titres, surtout s’ils les considéraient comme sous-évalués. Or, en réalité, les rachats d’actions se sont amplifiés en phase de reprise. Autrement dit, ce paradoxe démontre que ces opérations ne consistent pas à soutenir les cours d’actions anormalement sous-valorisées, (en apportant même de la liquidité sur le marché ou s’échange leurs titres) mais surtout de « bonifier » les BNA. Cela traduit une réalité que certaines cassandres pourront qualifier d’inquiétante. A défaut d’investir dans l’innovation ou leur développement (qui sont les futurs profits de demain), ces sociétés préfèrent assurer un gonflement de leurs profits à court terme.
Deux cas de figures sont fréquents. Le premier concerne les sociétés assises sur des trésors de cash, à l’image d’Apple par exemple. A défaut de croissance, ces groupes optent pour ces stratégies de redistribution qui présentent l’avantage d’améliorer instantanément le BNA tandis qu’une politique dédiée à l’investissement mettrait des années à atteindre un résultat similaire. Le second cas touche les entreprises en manque de dynamisme, qui s’endettent à taux bas pour racheter leurs actions. Il n’est pas sans rappeler que dans un environnement de hausse des taux, ce cas de figure deviendra moins fréquent.
Néanmoins, les rachats d’actions ne pourront éternellement pallier le manque d’investissement. Seuls des investissements rentables, dédiés à l’innovation ou à la modernisation de l’appareil productif, garantissent une bonne tenue des BNA sur de longues échéances. Ne perdons donc pas de vue que ce modèle n’est pas viable sur le long terme. Une société qui arbitre en faveur de ses profits à court terme aux dépens de ses investissements pour le futur fussent-ils risqués, acceptent un scenario de déclin. Nous pourrions y associer cette image évoquée par Warren Buffet. « C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus. »