Ce mariage suscite des interrogations en France où, à droite comme à gauche, on dit craindre un déséquilibre au profit du groupe allemand et des conséquences néfastes pour les salariés.

"La discussion actuellement en cours entre les deux groupes est évidemment suivie de très près par le gouvernement et par les services du ministère de l'Economie et des Finances", a déclaré Benjamin Griveaux, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, à l'Assemblée.

"Dans l'hypothèse d'un rapprochement entre les deux entreprises, l'Etat, soyez en certains, veillera à ce que ce mariage soit un mariage entre égaux, la valorisation respective des deux entreprises étant très proche", a-t-il dit lors de la séance des questions au gouvernement.

"L'état des discussions ne permet pas d'entrer dans le détail de l'accord envisagé, mais l'Etat s'est déjà assuré qu'un certain nombre de garanties, notamment en termes d'emploi et de gouvernance, seront inscrites dans les termes de l'accord", a-t-il souligné.

Cette fusion dans le secteur ferroviaire, dont l'annonce devrait être formalisée mardi ou mercredi, a rallumé le débat sur l'avenir de l'industrie française et la survie de ses fleurons historiques.

"Est-ce aujourd'hui la fin d'Alstom ? Le TGV va-t-il devenir allemand? Pourquoi le gouvernement accepte-t-il un tel déséquilibre ?", s'interroge sur Twitter le député Les Républicains (LR) Eric Woerth, qui fut ministre du Budget sous Nicolas Sarkozy.

Christian Estrosi approuve pour sa part l'idée de bâtir un géant européen du ferroviaire pour résister à la concurrence du champion chinois CRRC, qui s'est lancé dans une offensive mondiale pour rafler des parts de marché, mais à condition que l'"égalité" soit assurée entre le français et l'allemand.

"Il semblerait que toutes ces conditions pour l'instant ne soient pas réunies", a déploré le maire LR de Nice sur franceinfo. "Voilà pourquoi j'invite le gouvernement français à être extrêmement ferme dans ces négociations."

Les responsables politiques citent la question sociale au premier rang de leurs préoccupations même si, de source proche du dossier, on précise que l'accord pourrait inclure une clause sur le maintien de l'emploi pour une durée de quatre ans.

"VENTE DE LA FRANCE PAR APPARTEMENTS"

"Si jamais le mariage entre Alstom et Siemens se faisait de manière déséquilibré, il y a un risque que les engagements pris par Alstom ne soient pas forcément tenus, notamment sur la production en France" de trains et de RER commandés pour le réseau francilien, a dit la présidente d'Ile-de-France, Valérie Pécresse (LR), sur CNEWS.

Plus alarmiste, le député Daniel Fasquelle juge qu'un rapprochement Alstom-Siemens pourrait entraîner une disparition pure et simple des activités d'Alstom dans les transports.

"On aura une entreprise française majeure, un leader mondial, qui aura été en réalité dépecée avec la complicité, parfois même le soutien (d'Emmanuel Macron)", a déclaré à Reuters cet ex-sarkozyste, aujourd'hui candidat à la présidence des Républicains.

Dans un autre registre mais sur le même thème, Jean-Luc Mélenchon a fustigé samedi ce qu'il qualifié de "vente de la France par appartements" en référence à deux dossiers qui ont provoqué les mêmes remous ces dernières années, les ventes des chantiers navals STX et des activités d'Alstom dans l'énergie.

"Et maintenant, les voilà qui ont décidé aussi de donner le TGV à Siemens, si bien que la France se vide de son sang, de sa capacité industrielle et de sa richesse intellectuelle", a-t-il déclaré lors de son rassemblement contre la réforme du Code du travail.

Marine Le Pen s'est dite "prudente" car, a-t-elle déclaré dans les couloirs de l'Assemblée nationale, "je partage l'inquiétude d'un certain nombre de salariés qui craignent évidemment que ce soit en réalité les Allemands qui prennent les décisions".

INQUIÉTUDE SYNDICALE

Côté syndical, l'inquiétude est aussi palpable.

Claude Mandart, délégué CFE-CGC chez Alstom, a estimé sur franceinfo que le rapprochement n'avait rien d'un "mariage".

"C'est purement une vente d'Alstom à Siemens", a-t-il dit.(Siemens) va devenir l'actionnaire de référence. En gros c'est lui qui aura les clés des cordons de la bourse. A partir du moment où on a les cordons de la bourse, on décide de la stratégie."

Pour Nicolas Dupont-Aignan, candidat souverainiste à la présidence en 2017, sur RMC, "c'est insupportable de voir un président de la République qui ne défend pas l'industrie française".

En 2015, Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie, avait lui aussi fait part de ses doutes lorsqu'une telle opération avait été envisagée une première fois.

"De fait, un partenariat Alstom-Siemens ne faisait qu’additionner les difficultés (...) en surconcentrant les problèmes au plan européen", avait-il dit lors d'une audition à l'Assemblée. "De plus, l’impact social d’un tel rapprochement aurait été critique avec un grand nombre de suppressions d’emploi à la clé. Enfin, les cultures d’entreprises de ces deux concurrents – cette dimension psychologique a son importance – étaient fondées sur un fort antagonisme."

(Simon Carraud, Emile Picy, Danielle Rouquié, Benjamin Mallet, Myriam Rivet et Sophie Louet)

Valeurs citées dans l'article : Alstom, Siemens