Le groupe industriel allemand a dit avoir obtenu des éléments concrets établissant que quatre turbines livrées il y a un an pour un projet dans le sud de la Russie avaient été illégalement transférées à Taman en Crimée, confirmant ainsi des informations données par Reuters ces dernières semaines.

L'affaire est embarrassante pour la Russie qui s'expose à l'accusation de violation des sanctions et aussi de non respect de son accord avec Siemens, ce qui risque de dissuader d'autres entreprises européennes d'y exporter. Le Kremlin s'est refusé à tout commentaire, disant que le contentieux était du seul ressort des entreprises.

Siemens a dit ne pas avoir encore établi qu'il avait lui-même enfreint les sanctions, réitérant que les turbines avaient été modifiées localement et transférées ensuite en Crimée contre sa volonté et en violation des accords contractuels.

La Crimée fait l'objet de sanctions de l'UE sur les équipements en énergie depuis son annexion par la Russie en 2014. Le président russe Vladimir Poutine a promis à la péninsule de lui fournir un approvisionnement stable en énergie.

"Cette situation est une infraction grossière aux contrats de livraison de Siemens et au droit européen, ainsi qu'un abus de confiance", a déclaré Siemens.

Le groupe bavarois a ajouté qu'il prendrait des mesures "immédiates et décisives" s'il découvrait de nouvelles violations des dispositions de contrôle des exportations.

Les actionnaires de Siemens ont semblé approuver sa réaction.

"On peut demander la restitution des produits mais si le client ne coopère pas il n'y a pas grand chose à faire", déclare le gérant Max Anderl chez UBS Asset Management, l'un des 20 principaux actionnaires du géant industriel allemand. "La rapidité de la réaction et la décision prise aujourd'hui témoignent d'une bonne gouvernance."

170 ANS DE PRÉSENCE

Concrètement, Siemens va céder sa participation minoritaire de 45,7% dans la coentreprise Interautomatika (IA) et suspendre ses deux représentants au conseil d'administration de cette société.

Le groupe va par ailleurs revoir ses accords de licence avec les sociétés russes liées à cette affaire, et réexaminer la coopération entre ses filiales et d'autres entités quand des livraisons en Russie sont en cause.

La Chambre de commerce germano-russe "n'a pas connaissance de violations (des sanctions) de la part de sociétés allemandes", a fait savoir son directeur Matthias Schepp.

Basé à Munich, Siemens est présent depuis 170 ans en Russie, où il fournit principalement des équipements pour l'énergie et des technologies ferroviaires. Avec l'impact des sanctions et de la baisse des cours du pétrole sur l'économie russe, son chiffre d'affaires y a baissé ces dernières années mais il représentait encore 1,2 milliard d'euros l'an dernier, soit environ 2% du CA total du groupe allemand.

L'hebdomadaire Wirtschaftswoche a rapporté cette semaine que Vladimir Poutine avait assuré en septembre dernier à Sigmar Gabriel, alors ministre allemand de l'Economie, que les turbines ne finiraient pas en Crimée.

Interrogé par Reuters, Dmitry Peskov, le porte-parole du Kremlin, a refusé de commenter cette information vendredi.

Siemens a demandé à récupérer ses turbines mais cette éventualité paraît peu probable. La société d'Etat Technopromexport (TPE), avec lequel il avait signé le contrat original, s'est refusé à tout commentaire.

Andreï Tcherezov, vice-ministre russe de l'Energie, a confirmé le projet de deux constructions de deux nouvelles centrales en Crimée, a rapporté l'agence de presse RIA.

Siemens a annoncé la mise en place de contrôles additionnels pour ses livraisons d'équipements énergétiques à l'avenir et a ajouté que tout nouveau contrat de turbines serait exécuté par sa coentreprise Siemens Gas Turbines Technologies ou sa filiale OOO Siemens, qu'il contrôle l'une et l'autre.

Wolfram Trost, porte-parole de Siemens, a précisé que l'affaire en Crimée n'avait pas déclenché d'enquête interne plus large au sein du groupe allemand, qui avait dû payer aux Etats-Unis une amende de 1,6 milliard de dollars il y a 10 ans après un scandale de corruption.

(avec les contributions de Simon Jessop à Londres et d'Andrew Osborn et de Dmitry Solovyov à Moscou, Wilfrid Exbrayat et Véronique Tison pour le service français)

par Georgina Prodhan et Gleb Stolyarov