L'indifférence des investisseurs au chaos politique italien depuis le mois de mars est un des éléments marquants du printemps. Comme le dépeint AlphaValue "c'était comme si l'Italie était sur pilote automatique, sans aucune implications négatives". Un peu à la belge en somme, "mais il serait dangereux de penser que cela peut fonctionner à l'échelle d'un pays aussi grand", prévient le bureau d'études. Au final, le marché semblait miser sur une espèce de futur gouvernement assez compétent avec un historique économique plutôt solide, comme cela se passe si souvent de l'autre côté des Alpes. Mais il n'en est rien et "maintenant que le Frankenstein politique est sorti de sa boîte et claudique vers le Palais du Quirinal", la peur monte.
 

Le match Stoxx 600 (bleu) et actions italiennes (rose) s'équilibre (source : AlphaValue)

Comme souvent, poursuit AlphaValue, ce sont les banques italiennes qui ont pris le premier choc, un peu par défaut (comme disait l'autre, si tu ne sais pas sur qui taper quand quelque chose tourne mal en Europe du Sud, vise les banques italiennes). Hum ! Il est quand même difficile de donner tort aux investisseurs au vu de la plateforme politique "un peu idiote" proposée. Jouer la baisse des banques et plus généralement des actions italiennes a donc toutes les chances de revenir à la mode, et pour un moment avec ça. Le bureau d'études ne cède pas à la tentation de faire un parallèle avec Syriza en Grèce, qui a adopté des positions radicales pour finalement devenir le meilleur allié européen pour la restructuration du pays. En Italie, certaines mesures promises pourront être mises en œuvre sans souci, comme le retour de l'âge à la retraite à 60 ans : il y a peu de risque pour qu'une marée humaine envahisse les rues de Rome, même si la décision n'est pas financée.

Pour AlphaValue, les actions italiennes ont encore 3% à perdre pour gommer leur surperformance récente et risquent de reculer de 15 à 20% additionnels pour intégrer l'accroissement des spreads des taux souverains et, probablement, ceux des entreprises. L'équipe de recherche préconise évidemment la prudence. Le potentiel de hausse combiné de son univers de couverture en Italie est d'environ 14% actuellement. Elle recommande d'attendre que l'écart monte au moins à 30% avant de "bouger un orteil", sauf si le programme politique devient brutalement raisonnable.

Barclays très réservé

Fabio Fois, chez Barclays, pense toujours qu'un échec de dernière minute (seconde ?) n'est pas à exclure, mais il lui paraît désormais plus raisonnable de miser sur un attelage exécutif M5E / Ligue. De là à dire qu'il pourra gouverner, c'est une autre histoire. Selon les calculs de l'économiste, le programme annoncé coûtera environ 100 milliards de dollars bruts par an s'il n'est accompagné d'aucune mesure compensatrice (en l'occurrence des économies ailleurs).

Les contraintes tant internes qu'externes risquent de compliquer le déploiement du projet. Le Président Matarella a ainsi laissé entendre récemment qu'il sera le garant des liens européens et atlantiques de l'Italie. Il risque d'avoir du pain sur la planche. De surcroît, la coalition n'a qu'une courte majorité au Sénat, insuffisante en cas de forte pression politique ou financière, juge le représentant de la banque britannique. Il faut ajouter à cela l'article 81 de la constitution transalpine, qui permet au Président de la République de refuser de signer les textes de lois qu'il juge anticonstitutionnels ou menaçant l'équilibre économique du pays. Enfin, les mesures proposées par le duo risquent d'exacerber les tensions avec les partenaires européens, argumente Fois, si bien que l'équipe gouvernementale risque d'être forcée à adopter une position plus conciliante avec l'Europe, pour tenter d'exploiter un petit levier budgétaire.

L'économiste de Barclays pense que la coalition pourrait être mise à rude épreuve si les marchés haussent le ton, ce qui entraînerait probablement des élections anticipées... dont le timing et le résultat seraient parfaitement inconnus. 

Tout n'est pas noir, pour La Banque Postale AM 

L'approche de LBPAM est plus nuancée sur le programme, du moins sur la partie relance budgétaire. "L’Italie a eu une politique budgétaire finalement sage depuis l’introduction de l’euro", souligne la gestion, qui en veut pour preuve qu'avec une politique identique, si la France avait eu le même déficit primaire que l'Italie en 1999, sa dette serait à 45% du PIB aujourd'hui. Sans commentaire. L'idée du probable futur gouvernement de revoir le cadre de la gouvernance économique n'est pas mauvaise non plus, car les imperfections sont connues. "Mais il faudrait montrer pattes blanches d’abord", nous explique LBPAM, car "arriver à la table des négociations avec une relance budgétaire n’est probablement pas le meilleur moyen". L'abaissement de l'âge de la retraite serait en revanche "insupportable" pour les finances publiques, même si l'accord est ambigu quand il prévoit une dérogation avant 67 ans pour certains types d'emplois, ce qui "s’apparente au compte pénibilité français". Enfin, la gestion note que la sortie de l'euro ou l'annulation de la dette, qui figuraient dans le document de travail qui avait fuité la semaine dernière, ont heureusement, disparu du programme. La réaction du marché a été très négative, comme le montre le graphique ci-dessous.