WASHINGTON (awp/afp) - Le rachat de Time Warner par AT&T pose-t-il un problème de monopole ? C'est ce que devra déterminer la justice américaine à partir de mercredi, au cours d'un procès très attendu intenté par le gouvernement des Etats-Unis qui veut bloquer cette méga-fusion.

Annoncée fin 2016, cette opération de 85 milliards de dollars entre le groupe de télécommunications AT&T et l'entreprise de médias Time Warner (CNN, HBO, studios Warner Bros...) donnerait naissance à un mastodonte, alors que le secteur est en plein bouleversement à cause de la puissance des géants technologiques.

Le ministère de la Justice estime qu'elle serait néfaste pour la libre concurrence et pourrait entraîner une augmentation des prix pour le consommateur.

Un dossier d'autant plus compliqué qu'il est aussi politique, avec les attaques récurrentes du président américain Donald Trump contre CNN: selon la presse américaine, le gouvernement a voulu obliger Time Warner à vendre la chaîne d'information pour approuver l'opération.

Les avocats du gouvernement affirment qu'avec cette fusion, "les Américains finiraient par payer des centaines de millions de dollars de plus qu'aujourd'hui pour regarder leurs programmes télé préférés". Par exemple, AT&T pourrait faire payer plus cher ses abonnements pour l'accès à des programmes-phares comme la série "Game of Thrones" (HBO).

Ils présenteront au cours du procès une étude de Carl Shapiro, enseignant à l'Université de Californie à Berkeley (ouest), qui affirme que les consommateurs pourraient payer 436 millions de dollars de plus par an en cas de fusion.

- La 'révolution' de la vidéo -

De son côté, AT&T affirme que les craintes antitrust sont sans fondement car la fusion est "verticale". Les deux entreprises sont sur deux segments différents où elles ne sont pas concurrentes: la distribution d'une part (AT&T) et la création de contenus d'autre part (Time Warner).

La transaction, affirme AT&T, sera bénéfique pour la concurrence alors que s'opère "une révolution complète qui transforme le marché de la vidéo".

Surtout, elle lui permettrait de mieux lutter contre les géants de la Silicon Valley, qui sont à la fois des groupes technologiques et des créateurs de contenus.

Le paysage télévisuel a changé radicalement en raison "de l'essor spectaculaire de Netflix, Amazon, Google, ou d'autres entreprises technologiques", selon AT&T.

En 2011, une fusion similaire entre le câblo-opérateur Comcast et le groupe de médias NBCUniversal, avait été validée, sous certaines conditions. Et selon AT&T, l'opération "n'a en rien été mauvaise en termes de libre concurrence".

Les experts juridiques sont divisés quant à l'issue du procès, même si l'interdiction d'une fusion "verticale" serait la première depuis des décennies, marquant ainsi un tournant dans la politique anti-monopole des autorités américaines.

Pour Steven Salop, professeur de droit à l'Université de Georgetown (est), et ancien membre de la Federal Trade Commission (régulateur américain du commerce), le gouvernement a "de très bonnes chances" de prouver que la fusion serait néfaste.

Par exemple, Time Warner pourrait faire payer plus cher les opérateurs concurrents d'AT&T qui souhaiteraient diffuser ses programmes, ou carrément les empêcher de les diffuser. Face à des rivaux ainsi affaiblis, AT&T aurait le loisir de faire grimper le tarif de ses abonnements, explique l'enseignant.

La plupart des enquêtes anti-monopole se règlent habituellement à l'amiable avec, à la clé, des cessions ou autres transactions censées préserver la concurrence: un procès est risqué pour les deux parties, relèvent les analystes.

Le procès qui doit s'ouvrir mercredi à Washington sera le plus important de ce genre depuis celui contre Microsoft dans les années 90.

Pour Daniel Lyons, professeur de droit au Boston College (est), ce dossier illustre surtout, plus que des considérations politiques, la nouvelle approche de la problématique antitrust du ministère de la Justice. "Il s'agit d'une nouvelle façon d'aborder les fusions verticales", dit-il.

Toutefois, relève M.Lyons, revenir sur des décennies de laissez-faire en termes de fusions sera une lourde tâche pour le gouvernement. "Si je devais parier, je dirais que les chances sont plutôt du côté d'AT&T", note-t-il, mais "le gouvernement a quand même aussi une possibilité de l'emporter".

En tout état de cause, cette nouvelle politique autour des fusions pose aussi la question de savoir si cela pourrait aussi menacer d'autres opérations dans le futur.

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