Washington (awp/ats/afp) - Le rachat par Disney d'une partie de 21st Century Fox devra encore passer sous les fourches caudines des autorités américaines de la concurrence. L'équation est d'autant plus compliquée que les mégafusions sont devenues un sujet très politique aux Etats-Unis.

Avec cette opération, la vénérable entreprise fondée par Walt Disney en 1923 va mettre la main sur les studios de cinéma 20th Century Fox et les regrouper avec ses propres studios: à eux deux, ils représentent 40% des recettes du box-office américain. Dans la télévision, outre ses propres chaînes ABC et ESPN (sports), Disney détiendra désormais FX et National Geographic.

De quoi faire froncer les sourcils aux autorités de la concurrence qui viennent précisément de bloquer un autre énorme rachat dans le secteur des médias: celui du groupe Time Warner (studios Warner Bros., chaînes HBO et CNN) par le géant des télécoms AT&T.

Une équation compliquée par le rôle, réel ou supposé, du président de Donald Trump, qui hait notoirement CNN mais affectionne la chaîne classée très à droite Fox News, qui reste entre les mains de son ami Rupert Murdoch, patron de 21st Century Fox. La Maison Blanche a indiqué que les deux hommes avaient discuté de la transaction au téléphone, Donald Trump félicitant même le magnat.

Donald Trump est parallèlement soupçonné d'avoir poussé le ministère de la Justice, légalement censé agir en toute indépendance, à bloquer le rachat de Time Warner par AT&T dans le but de nuire à CNN. La fusion n'est "pas bonne pour le pays", a-t-il même dit publiquement.

"On dirait franchement que ce sont les opinions personnelles de Donald Trump à l'égard de CNN (mauvaises) et Fox News (bonnes) qui décident de la politique en matière de concurrence", lâche Richard Greenfield, analyste spécialisé au cabinet BTIG. Un "deux poids, deux mesures" apparent d'autant plus problématique que pour beaucoup, c'est bien le deal Disney-Fox qui serait le plus susceptible de poser des problèmes de monopole.

VERS UNE HAUSSE DES TARIFS

Selon M. Greenfeld, le projet AT&T/Time Warner pose certes un problème "théorique" en matière de concurrence mais la fusion Fox/Disney "représente un bien plus grand danger pour le consommateur" car elle "va très certainement entraîner une hausse des tarifs" ou encore "des pertes d'emplois importantes", notamment à Hollywood.

En bloquant AT&T, le gouvernement a "placé très bas le curseur anti-monopole" alors que "la transaction Disney-Fox semble bien pire" de ce point de vue, abonde Larry Downes, spécialiste d'internet à l'Université de Georgetown. Le syndicat de scénaristes, Writers Guild of America West, estime que ce mariage de titans soulève "des inquiétudes évidentes et importantes sur la concurrence".

Alors que Disney et Fox font déjà partie des "énormes conglomérats des médias (qui) ont le pouvoir sur le secteur du divertissement, souvent aux dépens des créateurs", "le projet de fusion de deux concurrents directs (...) va encore faire empirer les choses", estime l'organisation. L'association de consommateurs Consumer Watchdog estime aussi que l'opération "donnerait beaucoup trop de pouvoir monopolistique à Disney" et se traduirait "par des prix plus élevés et moins de choix pour les consommateurs".

Pour autant, nuance Christopher Sagers, professeur de droit spécialiste de la concurrence, les deux mégafusions sont de nature différentes, ce qui justifie à ses yeux une attitude potentiellement différente des autorités. Car la fusion AT&T-Time Warner est ce qu'on appelle une fusion "verticale" (les deux entreprises ne sont pas concurrentes): les autorités devront apporter la preuve que l'offensive d'AT&T dans les contenus produits par Time Warner va nuire à ses concurrents.

Disney-Fox serait une fusion "horizontale" qui unirait deux entreprises du même secteur. Or, poursuit l'universitaire, les autorités de la concurrence ont par le passé généralement accepté de telles fusions, estimant que le passage de 5 à 4 concurrents ne posait pas de problème.

Le parcours ne serait pas pour autant un long fleuve tranquille pour Disney, poursuit M. Sagers. Le ministère de la Justice pourrait exiger que les chaînes régionales sportives de Fox soient exclues du rachat, de façon à éviter trop de concentration dans la télévision.

S&P Global Ratings estime aussi que Disney aura fort à faire pour répondre aux préoccupations des autorités de la concurrence qui pourraient exiger des cessions. La décision des autorités de la concurrence pourrait ne pas intervenir avant 2019.

ats/afp/rp