Cour de justice de l'Union européenne

COMMUNIQUE DE PRESSE n° 42/17

Luxembourg, le 27 avril 2017

Presse et Information

Conclusions de l'avocat général dans l'affaire C-186/16 Ruxandra Paula Andriciuc e.a./Banca Româneasca SA

Selon l'avocat général Wahl, la clause d'un contrat de prêt qui prévoit le remboursement de la somme prêtée dans la devise étrangère dans laquelle le prêt a été octroyé ne constitue pas nécessairement une clause abusive

L'exigence selon laquelle les clauses contractuelles doivent être rédigées de manière claire et compréhensible ne peut pas imposer au professionnel d'anticiper et d'informer le consommateur sur des évolutions postérieures non prévisibles, telles que les fluctuations exceptionnelles des taux de change

Entre le mois d'avril 2007 et le mois d'octobre 2008, Mme Ruxandra Paula Andriciuc et 68 autres personnes ont conclu avec la banque roumaine SC Banca Românească des contrats de crédit en francs suisses (CHF) afin d'acquérir des biens immobiliers, de refinancer d'autres crédits ou de répondre à des besoins personnels. Les emprunteurs étaient tenus de rembourser les mensualités en CHF1.

Le taux de change entre le CHF et le leu roumain (RON) a plus ou moins doublé entre 2007 et 2014. Les emprunteurs considèrent que la banque était en mesure de prévoir les fluctuations du taux de change du CHF. Ils ont donc saisi les tribunaux roumains en faisant valoir que les clauses qui prévoient le remboursement du crédit en CHF font peser sur eux le risque de change et constituent dès lors des clauses abusives.

Le droit de l'Union2 protège les consommateurs lors de la conclusion de contrats avec un professionnel. En particulier, il prévoit qu'une clause peut être considérée comme abusive lorsqu'elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. Le caractère abusif d'une clause est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l'objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion de celui-ci, à toutes les circonstances qui l'entourent ainsi qu'aux autres clauses du contrat. L'appréciation du caractère abusif d'une clause ne peut pas porter sur la définition de l'objet principal du contrat dès lors que la clause est rédigée de façon claire et compréhensible.

Saisie du litige, la Curtea de Apel Oradea (cour d'appel d'Oradea, Roumanie) pose trois questions à la Cour de justice au sujet de l'examen de la clause contractuelle en cause. Deux de ces questions visent à déterminer si la clause litigeuse peut être considérée comme portant sur l'objet principal du contrat et si elle est rédigée de manière « claire et compréhensible », si bien que son caractère potentiellement abusif ne pourrait pas être examiné. Par ailleurs, il est demandé à la Cour d'apporter des éclaircissements quant au moment auquel l'existence d'un « déséquilibre significatif » entre les droits et obligations des parties doit être évaluée.

Dans ses conclusions de ce jour, l'avocat général Nils Wahl se réfère, en plus du libellé des clauses contractuelles en cause, au contexte factuel et juridique dans lequel les contrats de prêts ont été conclus. Il tient compte de deux éléments déterminants. En premier lieu, il relève que les contrats de prêt en devise étrangère se voient généralement appliquer un taux d'intérêt plus bas

1 Selon les informations dont dispose la Cour, des prêts en CHF auraient été souscrits par plus de 50 000 ménages en Roumanie.

2 Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

www.curia.europa.eu

que ceux en monnaie nationale en contrepartie du « risque de change » qu'ils peuvent induire en cas de dévaluation de la monnaie nationale. En second lieu, il note que la banque a accordé les prêts en CHF et qu'elle est en droit d'obtenir les remboursements de ces prêts dans la même devise. Selon l'avocat général, l'obligation de remboursement des mensualités en CHF ne peut pas être considérée comme un élément accessoire du contrat, mais fait bel et bien partie des éléments clés du contrat de prêt en devises étrangères.

L'avocat général en conclut que la clause d'un contrat de prêt aux termes de laquelle l'emprunteur doit rembourser la somme dans la même devise que celle de son octroi relève de la notion d'« objet principal du contrat ».

S'agissant de la deuxième question posée à la Cour, l'avocat général précise que l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible suppose que la clause litigieuse soit comprise par le consommateur à la fois sur le plan formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète. Ainsi, un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé devrait non seulement être informé de la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère, mais aussi être mis en mesure d'évaluer les conséquences d'une telle clause sur ses obligations financières. L'exigence selon laquelle les clauses contractuelles doivent être rédigées de manière claire et compréhensible ne saurait toutefois aller jusqu'à imposer au professionnel d'anticiper les évolutions postérieures non prévisibles, telles que les fluctuations des taux de change des devises en cause dans l'affaire, ni d'en informer le consommateur et d'en assumer les conséquences.

Enfin, l'avocat général se prononce sur la question de savoir à quel moment il convient de se placer pour évaluer l'existence d'un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Il précise que cette question n'a de sens que dans l'hypothèse où la Cour viendrait à la conclusion que la clause litigieuse ne relève pas de la notion d'« objet principal du contrat » ou qu'elle n'est pas rédigée de manière claire et compréhensible. L'avocat général considère qu'un professionnel ne peut être tenu pour responsable d'évolutions postérieures à la conclusion du contrat et indépendantes de sa volonté (comme notamment des variations du taux de change). S'il devait en aller autrement, non seulement des obligations disproportionnées seraient mises à la charge du professionnel, mais le principe de sécurité juridique serait également compromis. L'avocat général conclut sur ce point qu'il faut tenir compte de toutes les circonstances que le professionnel aurait pu raisonnablement envisager au moment de la conclusion du contrat. Le déséquilibre significatif ne saurait, en revanche, être apprécié en fonction d'évolutions postérieures à la conclusion du contrat dont le professionnel n'avait pas la maîtrise et qu'il ne pouvait pas anticiper (comme les variations du taux de change).

RAPPEL: Les conclusions de l'avocat général ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l'affaire dont ils sont chargés. Les juges de la Cour commencent, à présent, à délibérer dans cette affaire. L'arrêt sera rendu à une date ultérieure. RAPPEL: Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un litige dont elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l'Union ou sur la validité d'un acte de l'Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l'affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d'un problème similaire.

Document non officiel à l'usage des médias, qui n'engage pas la Cour de justice. Le texte intégral des conclusions est publié sur le site CURIA le jour de la lecture.

Contact presse : Gilles Despeux (+352) 4303 3205

www.curia.europa.eu

La Sté CURIA - European Court of Justice a publié ce contenu, le 28 avril 2017, et est seule responsable des informations qui y sont renfermées.
Les contenus ont été diffusés par Public non remaniés et non révisés, le28 avril 2017 10:46:23 UTC.

Document originalhttp://curia.europa.eu/jcms/jcms/p1_341517

Public permalinkhttp://www.publicnow.com/view/3FD2C17AD8ED13E5BBAF949C784D70EBFF5F85A4