par Trevor Hunnicutt

NEW YORK, 25 février (Reuters) - Moins d'un mois après l'entrée en fonction du nouveau président de la Réserve fédérale, les investisseurs à Wall Street se demandent s'ils pourront toujours compter sur une banque centrale protectrice quand les marchés perdent le Nord.

Jerome Powell est resté discret pendant la brutale correction de Wall Street au début du mois, se bornant ensuite à dire, lors de sa prestation de serment du 13 février, que la Fed resterait vigilante face aux risques susceptibles de porter atteinte à la stabilité financière.

Mardi, tous les investisseurs seront à l'écoute du successeur de Janet Yellen à l'occasion de sa première audition semestrielle à la Chambre des Représentants, où il aura à répondre à de nombreuses questions sur la situation économique du pays, les taux d'intérêt - et les 10% perdus par Wall Street en trois jours au moment de sa prise de fonction.

"Pour moi, ce n'est pas une coïncidence qu'on ait eu cette correction au moment du passage de témoin à la Fed", dit Kristina Hooper, stratège chez Invesco, ajoutant que Jerome Powell pourrait se révéler très différent de Janet Yellen qui, selon elle, avait fini par "endormir les marchés dans la complaisance."

Janet Yellen, comme ses prédécesseurs Ben Bernanke et Alan Greenspan, a toujours laissé le sentiment que la Fed n'abandonnerait pas les marchés.

En baissant ses taux à des plus bas historiques et en rachetant massivement des obligations pendant la crise financière de 2007-2009, la banque centrale américaine a fait plonger les rendements obligataires, réorientant ainsi les investisseurs vers les marchés actions qui se sont redressés.

"Il y a eu en quelque sorte une garantie Yellen, et il reste à voir s'il y aura une garantie Powell", ajoute Kristina Hooper.

La Fed de Janet Yellen a certes commencé à relever les taux d'intérêt à partir de la fin 2015, mais plus lentement que lors des cycles précédents et en s'abstenant quand les marchés étaient tendus. En 2015, année de la crise boursière chinoise, le comité de politique monétaire (FOMC) a ainsi attendu décembre pour relever enfin son taux directeur, et encore en 2016.

La Fed sait qu'elle doit maintenant agir plus vite pour éviter une surchauffe, alors que son bilan et le niveau global des taux portent encore la marque de ses mesures d'urgence.

Publié mercredi dernier, le compte rendu de la réunion du FOMC des 30 et 31 janvier a montré que les banquiers centraux américains sont de plus en plus convaincus de la nécessité de poursuivre le relèvement progressif des taux d'intérêt, la plupart d'entre eux s'attendant à une accélération de l'inflation.

Dans son rapport semestriel sur l'économie transmis vendredi au Congrès, la Fed dit s'attendre à la poursuite d'une croissance économique solide aux Etats-Unis et elle ne distingue aucun risque à l'horizon susceptible de ralentir le rythme de ses hausses de taux d'intérêt.

"On va avoir une des Fed les plus dures qu'on ait eues ces 20 dernières années", prédit Andrew Brenner, responsable du fixed income international chez NatAlliance Securities, en jugeant que les "faucons", plus intransigeants face à l'inflation, ont repris le pouvoir à la banque centrale.

Des taux plus élevés risquent de désavantager le marché boursier par rapport aux obligations et aussi de freiner la distribution de crédit aux ménages et aux entreprises.

Ne rien faire risquerait de mettre la Fed en retard sur l'évolution de l'inflation, au risque de devoir resserrer plus brutalement sa politique ultérieurement et de déstabiliser ainsi les marchés.

Pour Tony Crescenzi, stratège et gérant chez Pacific Investment Management Co, la Fed doit un peu freiner l'économie pour son propre bien et ses efforts pour durcir les conditions financières n'ont pas encore porté leurs fruits.

Trouver le bon équilibre n'est pas toujours facile. En 2008, la Fed était obnubilée par l'inflation et n'a pas vu venir la crise des "subprimes" et des produits financiers toxiques qui ont grevé les bilans des banques.

En 2012, quand il a été nommé gouverneur au conseil ("Board") de la Fed, Powell faisait partie de ceux qui pressaient le président d'alors, Ben Bernanke, à communiquer sur la réduction du programme de rachats d'actifs de la banque centrale. Bernanke a finalement rendu public son projet de "tapering", ce qui a fait chuter le marché obligataire à l'été 2013.

Powell s'est encore rangé aux côtés des "faucons" à l'été 2015 en réclamant deux hausses de taux, mais le plongeon des marchés chinois pendant l'été l'a fait revoir sa position.

Depuis, ses prises de parole ont surtout souligné combien la politique monétaire accommodante de la Fed a permis au marché du travail de se redresser, le taux de chômage passant de 10% en 2009 à un plus bas de 17 ans de 4,1% actuellement.

"Les intervenants du marché voudraient voir la Fed agir pour faire durer la phase d'expansion, et cela passe par de nouvelles hausses de taux", juge Tony Crescenzi.

Et pour le gérant, il est très peu probable que la Fed vole au secours du marché en cas de baisse des cours, "surtout comme celle qu'on vient de voir". (Véronique Tison pour le service français)