* Une minorité de pays ont voté contre la nouvelle directive

* La Pologne a basculé dans la majorité en faveur du texte

* La France se dit satisfaite du compromis proposé (Avec détails et réactions)

par Emmanuel Jarry

BRUXELLES, 9 décembre (Reuters) - Le Conseil des ministres du Travail de l'Union européenne a adopté lundi un projet de directive renforçant les contrôles sur le recours aux travailleurs "détachés" après le ralliement de la Pologne à un compromis dont la France se dit satisfaite.

Le Royaume Uni, la Hongrie, la Slovaquie, l'Estonie, la Lettonie, la République tchèque et Malte ont voté contre, mais sans pouvoir constituer une minorité de blocage.

La présidente lituanienne de l'UE, Dalia Grybauskaite, qui a annoncé l'accord sur son compte Twitter à l'issue d'une journée de discussions, a salué un "résultat important (...) pour une meilleure protection des travailleurs dans l'UE".

Dans son article 9, le projet voté à la majorité qualifiée par le Conseil des ministres du Travail prévoit que les Etats membres pourront décider librement du nombre et de la nature des documents exigibles des entreprises en cas de contrôle, pourvu qu'ils en informent la Commission européenne.

C'était une revendication de la France et d'une douzaine de ses partenaires, dont l'Allemagne, la Belgique et l'Italie.

Les débats les plus âpres ont porté sur l'article 12, qui prévoyait, sans en faire une obligation, la possibilité pour les Etats d'instaurer une responsabilité solidaire des donneurs d'ordre et de leurs sous-traitants en cas d'abus et de fraudes.

La France et ses alliés exigeaient que cette disposition soit obligatoire et générale au moins pour le secteur du BTP, qui emploie 25% des travailleurs "détachés" et concentre la majorité des abus. Ce que rejetaient absolument les pays du front du refus, Royaume-Uni en tête.

L'article 12 donnera finalement le choix aux pays membres d'instituer cette responsabilité solidaire dans le seul secteur de la construction ou de prendre "d'autres mesures appropriées" permettant d'infliger des sanctions "effectives et proportionnées" aux donneurs d'ordre dont les sous-traitants ne rempliraient pas leurs obligations envers les salariés détachés.

SALARIÉS "LOW COST"

"Nous ne sommes pas dans de l'optionnel", a fait valoir le ministre français du Travail, Michel Sapin, devant la presse. "Il y a obligation dans tous les pays d'adopter des dispositifs ayant les mêmes effets que la responsabilité solidaire."

Les seuils proposés par la France pour la mise en oeuvre de l'article 12, afin de faciliter un compromis, disparaissent, ce qui signifie qu'il s'appliquera à toutes les prestations de services dans le BTP, quel qu'en soit le montant.

Un travailleur "détaché" est un salarié envoyé pour une période limitée par son entreprise dans un autre pays de l'UE.

La directive de 1996, que complète le nouveau texte, prévoit qu'il bénéficie des droits sociaux du pays hôte en matière de salaire, de durée du travail et de congés mais qu'il continue à payer ses cotisations sociales dans son pays d'origine.

Cela permet à des entreprises françaises, allemandes ou belges, par exemple, d'avoir une main d'oeuvre à meilleur coût, grâce à des charges sociales beaucoup moins élevées.

"Concrètement ces salariés 'low cost' coûtent 30% à 40 % moins cher que les salariés français", estime ainsi le syndicat français des petites et moyennes entreprises, la CG-PME.

Les entreprises françaises se plaignent également d'une concurrence déloyale en raison des nombreux détournements des règles du détachement, faute de contrôle suffisant.

LA FRANCE ANTICIPE

Ce phénomène menace de devenir un sujet brûlant de la campagne des élections européennes du printemps 2014, qui pourraient voir une percée des partis populistes.

"Si on laissait se propager et s'amplifier la fraude, c'est le principe même de la liberté qui risquait d'être mise en cause dans chacun de nos pays", a estimé Michel Sapin.

Il a remercié chaleureusement la Pologne et estimé que le récent voyage à Varsovie du président français, François Hollande, n'était pas étranger au revirement polonais.

Le gouvernement français prendra rapidement des mesures pour anticiper la nouvelle directive, a promis Michel Sapin.

"Je commencerai dès cette semaine à mettre en oeuvre les outils juridiques qui sont adaptés et les moyens humains et matériels qui permettent de lutter contre (les) fraudes."

Il a confirmé qu'une proposition de loi conçue sous l'égide du député socialiste Gilles Savary renforcerait l'arsenal juridique français et promis qu'agriculture et agroalimentaire seraient aussi concernés.

Selon les statistiques européennes, il y avait au total 1,2 million de travailleurs détachés dans l'UE en 2011, dont 228.000 en provenance de Pologne, 227.000 d'Allemagne et 144.000 de France. Mais leur nombre ne cesse d'augmenter.

Le ministère français du Travail évalue à 220.000 le nombre de salariés détachés déclarés en France en 2013, après 170.000 en 2012, mais estime qu'il pourrait y en avoir à peu près autant non déclarés, ce qui porterait le total à plus de 400.000. (Edité par Gérard Bon et Tangi Salaün)