Fameusement qualifié de "bullshit earnings" par l'inénarrable mais prodigieux Charlie Munger — associé de Warren Buffett et vice-président de Berkshire Hathaway — l'EBITDA présente un profit fort commodément retraité du coût des investissements, des financements et des impôts.
 
En théorie, il permet ainsi de présenter la capacité bénéficiaire "brute" de l'exploitation, sans égard pour la structure du capital de l’entreprise ou la stratégie d’investissement à long terme. En pratique, et dans la majorité des cas, il sert plutôt au management à donner une image de sa performance autrement plus flatteuse qu'elle ne l'est en réalité. 
 
En effet, sauf pour une entreprise peu ou pas capitalistique, complétement autofinancée, et passant comme par miracle entre les filets du percepteur, l'EBITDA n'a généralement aucun rapport avec le profit réel — on s’en aperçoit dès qu’on les compare entre eux.
 
Qu'ils soient une dépense dite « non-cash » — une pratique invention comptable — ne justifie pas de faire l’impasse sur les amortissements et dépréciations, en particulier dans le cas d'entreprises très capitalistiques, par exemple les opérateurs téléphoniques ou les constructeurs automobiles.
 
Celles-ci sont justement réputées générer très peu de profits distribuables à leurs actionnaires sur le cycle long, car les investissements requis pour développer leurs infrastructures ou leurs capacités de production consomment l'intégralité des cash-flows d’exploitation, et même davantage, d'où un recours quasi systématique à l'endettement. 
 
Les comptes de résultat offrent déjà une image très imparfaite de la profitabilité car, outre des politiques de reconnaissance des revenus parfois douteuses, on y discerne mal le poids des investissements dans les immobilisations — parfois supérieurs aux amortissements — ou dans le besoin en fonds de roulement. 
 
Ce problème est encore plus vif dans le cas d'entreprises en phase de croissance rapide, ou parmi celles qui procèdent à de multiples acquisitions.
 
Pour ne rien arranger, les sociétés cotées ont désormais presque toujours recours à des communications qui font la part belle aux EBITDA dits "ajustés", c’est-à-dire retraités de charges supposées exceptionnelles tels les coûts de restructuration, ou un investissement ponctuel dans la mise à niveau de l'infrastructure informatique.
 
A chaque industrie ses fantaisies. En la matière, et pour ne citer qu'elles, les compagnies pétrolières et gazières ont pris l'habitude de présenter en tête de communiqué des EBITDAX, soit des profits avant intérêts, taxes, dépréciations, amortissements et dépenses d'exploration. 
 
Or, ces dépenses d'exploration sont incompressibles lorsqu’une compagnie de cette nature cherche à rentabiliser au mieux la prospection et l'exploitation d'un gisement, à moins bien sûr qu'elle ne décide de forer à l'aveugle…
 
Sauf (rares) exceptions, toutes les dépenses retraitées par l'EBITDA sont bel et bien réelles. Privilégier cet indicateur à des mesures plus tangibles de la capacité bénéficiaire — résultat net ou free cash-flow, selon les circonstances — ne sert le plus souvent qu’à des fins promotionnelles ou cosmétiques.
 
Si vraiment il fallait lui trouver un intérêt, gageons cependant que l'EBITDA peut parfois servir à comparer plusieurs cibles d'acquisition entre elles. Plutôt que de se reposer sur les mérites intrinsèques de l'affaire, l'actionnaire qui sélectionne ses investissements selon cette approche fait ainsi le pari que l'entreprise est (ou sera) à vendre, et qu'il y aura en face des acheteurs pour mettre au pot.
 
Autrement, l'EBITDA sert surtout aux créanciers, qui mesurent ainsi la capacité qu'aura l'entreprise à couvrir sa charge d'intérêts dans un scénario extrême, en supposant que le service de la dette prenne l'ascendant sur les efforts d'investissement — un scénario dans lequel l'entreprise jouerait sa survie au détriment de son développement.
 
Les actionnaires, de leur côté, passent après et doivent donc bien veiller à retraiter toutes les dépenses de leur entreprise s'ils veulent estimer combien celle-ci pourra leur distribuer.
 
Le plus sûr moyen d'évaluer la profitabilité réelle d'une entreprise — et ainsi de se défier de toutes les manipulations comptables — consiste à mesurer l'évolution des capitaux propres au fil des exercices, retraitée d'éventuelles distributions de dividendes et opérations au capital type émissions ou rachats d'actions.
 
On comparera ensuite ces calculs "maison" avec les profits comptables et les cash-flows libres — souvent pour constater, ô surprise, que l'EBITDA n'avait au fond aucun intérêt.