L'initiative inattendue du chef de file du parti de gauche anti-austérité Syriza est un coup de théâtre sans précédent dans les négociations engagées voici cinq mois entre son gouvernement et les bailleurs de fonds de la Grèce.

En se tournant vers les électeurs, Tsipras accentue encore un peu plus l'incertitude alors que la Grèce, à court de liquidités, risque de se retrouver en défaut de paiement dès mardi, 30 juin - il lui faudrait alors rembourser 1,6 milliard d'euros au Fonds monétaire international (FMI) - et de s'exposer à une ruée aux guichets de ses banques et à la mise en place d'un contrôle des capitaux.

L'annonce choc du Premier ministre grec intervient au terme d'un enchaînement d'événements où les espoirs nés des propositions envoyées en tout début de semaine par Athènes à ses créanciers - la Commission parlait alors d'une "bonne base pour des progrès" - se sont rapidement envolés pour faire place à la méfiance et à des accusations réciproques de chantage.

Les créanciers, jugeant que le nouveau programme de réformes proposé par Athènes reposait principalement sur des hausses d'impôts et de cotisations sociales et non sur des économies, ont transmis leurs contre-propositions, jugées "absurdes" par le gouvernement grec.

"OBSESSION POUR UNE AUSTÉRITÉ DURE ET PUNITIVE"

De retour de Bruxelles où il a mené des négociations marathon avec les représentants des "institutions" (Commission européenne, Banque centrale européenne et FMI, créanciers de la Grèce) et participé au sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, Alexis Tsipras a réuni en urgence son gouvernement puis, dans une allocution télévisée peu avant 01h00 du matin (22h00 GMT), a annoncé un référendum.

"On a demandé au gouvernement grec d'accepter une proposition qui accumule de nouvelles charges insupportables sur le peuple grec et sape la reprise de la société grecque et de son économie, qui maintient non seulement l'incertitude mais amplifie davantage encore les déséquilibres sociaux", a-t-il dénoncé.

"Notre responsabilité nous oblige à répondre à cet ultimatum par le biais de la volonté souveraine du peuple grec", a-t-il ajouté.

Les partenaires européens de la Grèce avaient proposé dans la journée de débloquer plusieurs milliards d'euros de crédits (jusqu'à 15,5 milliards étalés en quatre versements jusqu'en novembre, dont une première tranche de 1,8 milliard d'euros dès mardi), de quoi faire face aux échéances des prochains mois, à condition que le Parlement grec approuve un plan de réformes prévoyant une réduction des pensions de retraite, de nouvelles baisses de salaire dans la fonction publique, une augmentation de la TVA et la fin des exemptions fiscales dans les îles. Autant de lignes rouges pour un gouvernement qui a promis d'en finir avec l'austérité.

En marge du sommet de Bruxelles, Angela Merkel et François Hollande ont discuté avec Alexis Tsipras pendant trois quarts d'heure, vendredi, pour tenter de le convaincre d'accepter cette offre qualifiée de "généreuse" par la chancelière allemande. Tous deux ont insisté sur le caractère décisif de la nouvelle réunion des ministres des Finances de l'Eurogroupe, la quatrième de la semaine, programmée ce samedi à 14h00 (12h00 GMT).

Selon un responsable grec, le Premier ministre leur a répondu ne pas comprendre l'insistance des créanciers sur la nécessité de mesures douloureuses.

"Ces propositions prouvent l'obsession, principalement de la part du Fonds monétaire international, pour une austérité dure et punitive", a insisté Tsipras lors de son allocution télévisée, ajoutant que "l'objectif poursuivi par certains de nos partenaires et certaines 'institutions' n'était pas un accord viable pour toutes les parties, mais l'humiliation d'un peuple tout entier".

L'OPPOSITION GRECQUE DÉNONCE UNE RUPTURE DANGEREUSE

Annoncée en pleine nuit, son projet de référendum n'a entraîné pour l'heure aucune réaction de la part des "institutions" ou des pays de la zone euro.

Tsipras a précisé qu'il avait "communiqué (sa) décision" à François Hollande, Angela Merkel et Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne. Selon Gabriel Sakellaridis, le porte-parole du gouvernement grec, ce dernier aurait fait montre de "compréhension et de sensibilité" lors de sa conversation téléphonique avec le chef du gouvernement grec.

Le président de la BCE, dit-on dans l'entourage du Premier ministre, devrait rencontrer ce samedi le vice-Premier ministre grec Giannis Dragassakis, le ministre des Finances Yanis Varoufakis et le négociateur en chef Euclide Tsakalotos.

En Grèce, les partis de l'opposition ont dénoncé une rupture dangereuse qui, jugent-ils, menace de pousser le pays hors de l'Union européenne. "M. Tsipras conduit aujourd'hui le pays vers un référendum dont la question fondamentale est un oui ou un non à l'Europe et il propose la rupture avec tous nos partenaires et une sortie de l'euro", a dénoncé son prédécesseur au poste de Premier ministre, Antonis Samaras, chef de file du parti de droite Nouvelle démocratie.

Ce n'est pas la première fois depuis le début de la crise grecque, fin 2009, qu'Athènes a recours à l'arme du référendum dans les négociations avec ses partenaires.

Fin octobre 2011 déjà, le Premier ministre à l'époque socialiste George Papandréou, sans consulter ses partenaires européens, avait annoncé la tenue d'un référendum sur le programme d'austérité lié à l'aide financière internationale. Sous pression de ses partenaires, mais aussi de la classe politique grecque, il avait fait marche arrière avant de démissionner et de laisser place à un gouvernement de coalition dirigé par Lucas Papademos, ancien vice-président de la Banque centrale européenne.

Tsipras a annoncé que son projet de référendum serait soumis pour ratification au Parlement dès samedi. Les députés se retrouveront à midi (09h00 GMT).

(avec George Giorgiopoulos et Michele Kambas à Athènes, Paul Taylor, Jan Strupcewski et Julien Ponthus à Bruxelles; Henri-Pierre André pour le service français)

par Lefteris Papadimas et Renee Maltezou