* Comme Mitterrand, Hollande veut "donner du temps au temps"

* Un choix assumé par ses proches

* Cette stratégie ne survivra pas à la rentrée

* Les Français conscients de la faiblesse des marges

* La crise de l'euro comme une épée de Damoclès

par Yves Clarisse et Emmanuel Jarry

PARIS, 30 juillet (Reuters) - "Il faut donner du temps au temps", disait François Mitterrand. François Hollande, qui semble avoir fait sienne cette maxime de son mentor politique pendant les trois premiers mois de son mandat, sera contraint d'accélérer le tempo à la rentrée sous peine d'être dépassé par une crise qui, elle, n'attend pas.

Depuis son élection le 6 mai, le chef de l'Etat s'est efforcé d'apparaître comme le négatif de son prédécesseur : son style et son mode de gouvernement sont aux antipodes de ceux adoptés en 2007 par Nicolas Sarkozy.

"François Hollande s'est positionné par rapport à Nicolas Sarkozy", dit Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l'Ifop. "Il veut incarner la rupture avec la rupture."

Son prédécesseur avait agi dès son entrée à l'Elysée comme s'il avait été élu pour cent jours, et avait entraîné la France dans un tourbillon de réformes tout en révolutionnant la pratique présidentielle en déculpabilisant le rapport à l'argent et en affichant ses amitiés dans les milieux d'affaires.

Dès l'été 2007, un "paquet fiscal" défiscalisant les heures supplémentaires et créant un "bouclier fiscal" était adopté, des peines planchers pour les multirécidivistes étaient approuvées, l'autonomie des universités était mise en branle et un service minimum dans les transports en commun était inauguré.

Sur le plan européen, Nicolas Sarkozy avait sorti l'Union européenne de la paralysie en faisant adopter par le Parlement français le traité de Lisbonne, qui reprenait les dispositions du projet de constitution rejeté par référendum en 2005.

A contrario, François Hollande, qui affiche une proximité bonhomme avec les Français, multiplie les gestes d'apaisement et entend apparaître "normal" jusqu'à refuser la protection d'un parapluie qui l'aurait empêché d'apparaître trempé jusqu'aux os à plusieurs reprises, sans que cela semble le gêner.

ARBITRE ET PROTECTEUR

Il a baissé son salaire là où Nicolas Sarkozy l'avait augmenté, laisse son Premier ministre Jean-Marc Ayrault gouverner pleinement là où son prédécesseur ravalait François Fillon au rang de simple collaborateur, et apparaît sur tous les dossiers comme un président arbitre ou protecteur.

Le nouveau président a d'ailleurs d'autant plus laissé son Premier ministre travailler qu'il a dû pendant les premiers mois de son mandat voler de Conseil européen en sommet de l'Otan en faisant escale à Berlin et Londres.

Ce partage des tâches permet d'ailleurs à François Hollande de disposer d'un "fusible", ce dont s'était privé Nicolas Sarkozy en montant en première ligne sur tous les dossiers.

Les premières décisions s'inscrivent dans la droite ligne de sa campagne électorale, marquées par la volonté de défaire ce qu'avait fait Nicolas Sarkozy : les heures supplémentaires ont été refiscalisées, l'ISF durci, la "TVA sociale" abrogée, les droits de succession augmentés et la retraite à 60 ans réinstaurée pour ceux qui travaillent depuis longtemps.

Il multiplie les commissions chargées de réfléchir à des sujets aussi divers que la moralisation de la vie politique ou la fin de vie et, au lieu de trancher, réunit les partenaires sociaux pour relancer un dialogue inexistant de 2007 à 2012.

S'il a mis sous le boisseau sa volonté de renégocier le traité de discipline budgétaire conclu par Nicolas Sarkozy, il se targue d'avoir incité ses partenaires européens à conclure un pacte de croissance pour le compléter.

Une partie de la presse caricature cette politique, présentant, comme L'Express, François Hollande en "hypnotiseur".

Dans Le Monde, Plantu le dessine en politique dont le principal souci est de créer des commissions à l'infini, incapable de se départir de son passé de premier secrétaire du PS cherchant en tout une synthèse qui ne fâcherait personne.

MANQUE DE LEADERSHIP ?

L'opposition de droite s'engouffre dans la critique.

"Mon impression, c'est qu'au coeur de l'été il y a une léthargie qui s'est installée au sommet de l'Etat que je trouve préoccupante", déclare à Reuters Bruno Le Maire, député UMP et ancien ministre de l'Agriculture.

"Je comprends parfaitement qu'on donne du temps au temps. Je crois que c'est toujours important d'ouvrir le dialogue, de discuter et de prendre le temps de prendre un certain nombre de décisions, mais je commence à être sérieusement inquiet par le manque de décisions structurelles prises par François Hollande et par son manque de leadership", ajoute-t-il.

Des personnalités étiquetées à gauche partagent cette impression, comme Jean Peyrelevade qui critique l'absence de mesure pour doper la compétitivité de l'économie française.

"Face à cette urgence, le gouvernement (...) a choisi de ne pas se presser. Cette lenteur est une faute", dit dans L'Express l'ancien directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy, le premier Premier ministre de François Mitterrand en 1981.

Mais les proches de François Hollande assument ce choix de ne pas précipiter le mouvement en début de mandat et de laisser à la concertation le temps de produire ses effets.

"François Hollande gère le temps", explique le député socialiste François Rebsamen.

"Le choix est de ne pas surcharger le Parlement de projets de lois (...) et de regrouper dans la loi de finances rectificative l'ensemble des mesures d'urgence qui permettaient de tenir les engagements de la France", dit-il.

"Pour le reste, les décisions attendront le temps de la concertation, qui n'est pas du temps perdu mais permet au contraire d'en gagner en facilitant la mise en oeuvre des décisions."

PAS D'ÉTAT DE GRÂCE

Les analystes jugent cette stratégie de concertation de manière plutôt positive pour peu qu'elle soit effectivement suivie de décisions concrètes et ambitieuses à la rentrée.

Les Français, notent-ils, sont dans l'expectative même s'ils privent François Hollande de l'état de grâce dont avait bénéficié son prédécesseur : ils sont un peu plus de 50% à se déclarer satisfaits du président et les chiffres ont tendance à baisser, alors que Nicolas Sarkozy avait commencé très haut avant de dévisser à partir de septembre.

Cette méfiance relative s'explique, selon les analystes, en partie par les décisions déjà prises, comme la refiscalisation des heures supplémentaires ou le rabotage des avantages sur les droits de succession, qui étaient très populaires dans les classes moyennes, mais aussi par la peur de l'avenir.

Contrairement aux espoirs de "changer la vie" de 1981, de la réduction de la "fracture sociale" de 1995 et de la "rupture" de 2007, les Français semblent avoir pris conscience de la gravité de la situation et de la faiblesse des marges de manoeuvre.

"Il n'y a pas eu d'état de grâce mais un état de gravité, dès le départ", souligne Stéphane Rozès, politologue et président de la société Conseils, analyses et perspectives (CAP), qui a l'oreille de François Hollande.

Mais les électeurs n'en attendent pas moins de l'action.

"François Hollande est en train de manger son pain blanc. Le sujet c'est : est-ce qu'à l'issue de tout ça, le pays va avancer ?", demande Stéphane Rozès.

LE MOMENT DE VÉRITÉ APPROCHE

Pour tous les analystes, le moment de vérité approche à grands pas et interviendra dès la rentrée avec son cortège de plans sociaux, les décisions qui devront intervenir pour relancer la croissance économique et les choix qui seront faits pour trouver les quelque 33 milliards d'euros nécessaires pour réduire le déficit à 3% du PIB en 2013.

"Il y a encore un peu d'indulgence mais en septembre les trois coups devront être vraiment frappés", dit Jérôme Fourquet. "François Hollande va devoir entrer dans le dur."

"Il y a deux façons de voir les choses : soit on considère que François Hollande multiplie les pare-feu et les manoeuvres dilatoires pour gagner du temps ; soit on considère que la situation est si dégradée qu'on ne peut passer que par une meilleure écoute et tirer les leçons du précédent quinquennat."

Dans la seconde hypothèse, le président mettrait ses pas dans ceux de l'ex-chancelier allemand Gerhard Schröder qui, en 2002, avait pris le temps de la concertation pour faire adopter des réformes structurelles difficiles afin de doper la compétitivité de l'Allemagne, alors "homme malade de l'Europe".

Il reste à savoir si la société française est mûre pour adopter le "modèle allemand" de dialogue social et mettre en oeuvre les réformes du marché du travail qui en découleraient.

Les syndicats français, contrairement à leurs homologues allemands, sont très peu représentatifs en raison de la faiblesse du nombre de leurs adhérents, et ils sont divisés face à un patronat qui estime que le principal problème est le coût du travail, ce que conteste le gouvernement.

"Les ministres ne prennent pas la mesure de l'ampleur du problème de la compétitivité de la France", explique un membre éminent du Medef. "Ils pensent que le problème est le positionnement de la gamme, pas le coût."

Tout ce débat aura lieu sous la menace d'une crise européenne qui, par effet de contagion, pourrait toucher la France après avoir emporté l'Espagne et l'Italie.

"Le fait le plus marquant est l'imprévisibilité totale de la situation européenne. S'il y a en plus une déferlante continue de plans sociaux, on peut avoir un pays en état de sidération", dit Brice Teinturier, de l'institut Ipsos. (Avec Emile Picy, édité par Dominique Rodriguez)