* Une approche sécuritaire des enjeux

* Rapprochement pragmatique avec la Russie

* "Aggiornamento" sur la Syrie

par John Irish

PARIS, 22 juin (Reuters) - En prônant un "esprit de confiance" retrouvé avec la Russie, Jean-Yves Le Drian a confirmé cette semaine le virage diplomatique de la France, d'une diplomatie d'influence jugée surannée à une "realpolitik" axée sur les impératifs sécuritaires.

Depuis son accession à l'Elysée, Emmanuel Macron a de fait épousé plusieurs des choix stratégiques du président américain Donald Trump - priorité à la lutte anti-terroriste, rapprochement avec la Russie, désormais partenaire potentiel et non plus menace - avec la volonté réaffirmée de réduire la menace djhadiste pesant sur la France, relèvent des diplomates.

"Avec moi, ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans", explique le président français dans sa première interview à la presse européenne publiée mercredi.

La lutte contre le terrorisme, poursuit-il, suppose "d’avoir une politique internationale cohérente et de savoir parler avec toutes les parties. Mon principe diplomatique est celui-là."

"J’ai parlé cinq fois au président Erdogan depuis que je suis là. J’ai eu deux fois le président iranien Rohani. J’ai reçu Vladimir Poutine. La France n’a pas à choisir un camp contre l’autre. (...) Nous devons retrouver la cohérence et la force d’une politique internationale qui nous redonne du crédit", ajoute-t-il.

Ce recentrage, après les mandats de Nicolas Sarkozy et François Hollande qui portèrent la France sur plusieurs lignes de front là où Londres et Washington observaient un prudent recul, devrait restreindre à dessein le champ d'intervention diplomatique aux crises où les intérêts français sont directement en jeu et à des domaines délaissés par la nouvelle administration américaine, comme l'Afrique ou le changement climatique, selon des diplomates français et étrangers.

LIGNES ROUGES

"On peut penser que l'initiative de paix que nous promouvons au Moyen-Orient depuis des années est morte et enterrée", observe un représentant français.

Désormais, les efforts de la diplomatie française se concentrent sur la Libye en vue d'un accord de paix entre les factions en présence, Donald Trump se désintéressant du conflit et l'Onu et l'Union européenne peinant à sortir de l'impasse, mais avec aussi avec l'objectif que le pays ne devienne pas une base arrière pour des djihadistes résolus à frapper en France. Premier acte de la "realpolitik".

"Macron veut que son administration axe ses efforts sur des zones où la France peut retirer gains et solutions. Je pense qu'il a pris la mesure des marges limitées de la France en termes d'action et d'influence", juge un diplomate du Moyen-Orient basé à Paris.

"Il a fixé ses lignes rouges, pour le reste, tout est négociable", ajoute-t-il.

Son approche du conflit syrien en est un exemple frappant.

Depuis 2011, la France, soutien de l'opposition syrienne, faisait du départ de Bachar al Assad la clé de tout règlement, au prix d'une glaciation avec la Russie.

Emmanuel Macron et son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ont enterré cette option avec à l'esprit les possibles dividendes d'un rapprochement avec Moscou pour la résolution du conflit ukrainien, qui entrave économiquement et politiquement l'élan européen.

EN SYRIE, "LES PARAMÈTRES ONT CHANGÉ"

"Que peut-on faire? Réussir à travailler ensemble sur la Syrie pour lutter contre le terrorisme et déboucher sur une vraie sortie de crise. Je pense que c’est faisable", déclare le président français dans son interview aux journaux européens.

"On ne réglera pas la question uniquement avec un dispositif militaire. C’est l’erreur que nous avons collectivement commise. Le vrai aggiornamento que j’ai fait à ce sujet, c’est que je n’ai pas énoncé que la destitution de Bachar al Assad était un préalable à tout. Car personne ne m’a présenté son successeur légitime!", ajoute-t-il, estimant que la communauté internationale est restée "bloquée sur la personne d'Assad".

Pour lignes rouges en Syrie, Emmanuel Macron a énoncé le recours aux armes chimiques et l'amélioration de la situation humanitaire. Deux exigences dont Paris estime qu'elles peuvent susciter des concessions russes en retour.

"Ils veulent tout faire pour s'assurer de la réussite du dialogue avec la Russie et retrouver ainsi une place à la table des négociations", déclare un haut responsable humanitaire.

La doctrine sécuritaire de Jean-Yves Le Drian, qui fut ministre de la Défense durant cinq ans sous François Hollande et appuya les opérations antiterroristes au Mali, en Libye et en Syrie, n'est pas étrangère à ce pragmatisme revendiqué.

"C'est très simple. Soit vous regardez la situation syrienne en déplorant qu'Assad soit un 'salaud', ce fut notre cas, soit vous dites que la sécurité est notre priorité", résume crûment un haut responsable français.

"Assad est un 'salaud', mais nous ce que nous voulons, c'est protéger les Français, donc les paramètres ont changé. D'abord éradiquer l'Etat islamique, ensuite la solution politique", ajoute-t-il.

Un choix qui inquiète des diplomates français.

"C'est une vision excessivement militaire. La sécurité a toujours été au coeur de notre diplomatie, mais on ne peut exercer de diplomatie en se focalisant exclusivement sur la sécurité", dit l'un d'eux. (Version française Sophie Louet, édité par Yves Clarisse)