* La Russie reste sourde aux appels du président français

* Une "realpolitik" sans résultats tangibles pour l'heure

* "On est obligé d'agir", dit-on à l'Elysée

* Un ancien diplomate évoque une "gesticulation"

par John Irish

PARIS, 13 mars (Reuters) - Emmanuel Macron défend une politique d'action "inédite" sur le conflit syrien, multipliant les initiatives et les contacts depuis son élection en mai 2017, mais cette doctrine diplomatique nourrie de "realpolitik" échoue pour l'heure à porter ses fruits, observent diplomates et analystes.

Depuis le début de l'offensive des forces gouvernementales syriennes contre l'enclave rebelle de la Ghouta orientale, le président français enchaîne les contacts téléphoniques avec Vladimir Poutine, Donald Trump, son homologue iranien Hassan Rohani, fidèle à son refus de "la diplomatie du mégaphone" au profit de paroles "fortes" et "directes", "sans connivence". Sans résultat tangible à ce jour.

Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie et aujourd'hui conseiller à l'Institut Montaigne, évoque "une diplomatie de la gesticulation".

"Le changement de langage sur Bachar al Assad, la disponibilité à parler avec la Russie, la volonté de rompre avec un discours trop orienté sur les valeurs, tout ça pour l'instant n'a pas permis de remettre la France dans le jeu, selon l'expression consacrée", estime-t-il.

Un haut responsable iranien regrette : "Macron veut faire la course en tête. Il est énergique, dynamique, et il s'est engouffré dans la brèche ouverte par l'absence de l'Allemagne et du Royaume-Uni et l'imprévisibilité de Trump, mais son discours est erratique".

La France n'a de cesse d'appeler à la mise en oeuvre de la résolution 2401 du Conseil de sécurité des Nations unies en vue d'"une cessation immédiate des hostilités d'au moins trente jours" et un accès humanitaire sûr à la Ghouta, exhortant la Russie, alliée indéfectible de Bachar al Assad avec l'Iran, à faire pression sur le régime syrien. Là encore, sans succès.

"LIGNES ROUGES"

Emmanuel Macron a fait valoir lundi que la Russie avait voté ce texte en février sous la "pression de la France" et que cette dernière conduisait une politique "d'action je crois pouvoir dire inédite au sein des Nations unies".

"Il n'y a pas un autre pays qui est aussi actif que nous pour obtenir des résultats diplomatiques sur le sujet syrien", a-t-il souligné, répliquant au passage aux critiques de son prédécesseur dans Le Monde.

"Ces dernières années en Syrie, est-ce que les moments d'absence de dialogue complet avec la Russie ont permis d'avancer davantage? Je n'ai pas (ce) sentiment", a-t-il lancé.

"Il est de bon ton de nous attaquer et de dire 'La France est de retour', mais je ne vois pas ce que sa politique du 'en même temps' apporte de plus que nous", réagit un ancien membre de l'administration Hollande.

L'influence d'Emmanuel Macron sur le dossier syrien est-elle pour autant plus significative que celle de Nicolas Sarkozy et François Hollande? Plusieurs diplomates esquissent un "non".

Certes, il est allé plus loin dans "l'interventionnisme" en fixant deux "lignes rouges" au dirigeant syrien sur l'usage d'armes chimiques et l'entrave à l'aide humanitaire. Mais plus la première "ligne rouge" affleure, plus les conditions d'une riposte militaire se restreignent : la France frappera en cas d'attaques chimiques létales avérées et si "le faisceau d'indices" en sa possession est étayé par ses services de renseignement, dit-on désormais.

Sur le volet humanitaire, Emmanuel Macron a adressé au moins deux lettres au chef du Kremlin - l'une à l'été 2017, l'autre fin 2017 - qui sont restées sans réponse.

"SI ON NE FAISAIT RIEN...."

Emmanuel Macron a également fait un pas supplémentaire dans le "pragmatisme" en n'excluant pas d'associer des représentants du régime voire Assad lui-même à des pourparlers de paix - ce que François Hollande avait implicitement intégré - tout en exigeant qu'il "réponde de ses crimes devant la justice internationale".

"C'est une approche compliquée et incohérente", tranche sans détour un diplomate français de haut rang.

Quant à la proposition du président français de former un "groupe de contact" sur la Syrie, formulée en juillet 2017, elle reste pour l'heure lettre morte.

"Si on ne faisait rien, ce serait encore moins efficace et ce serait tout simplement inacceptable, on est obligé d'agir dans des conditions comme celles-là", fait-on valoir à l'Elysée.

Un diplomate français avoue sa "déception".

Un rapprochement avec Vladimir Poutine orchestré au Château de Versailles en mai 2017, six rencontres entre Jean-Yves Le Drian et Sergueï Lavrov, des communiqués aux accents de rappels à l'ordre...

"Nos efforts pour ouvrir une nouvelle ère avec la Russie n'ont pour l'instant pas porté leurs fruits", concède le diplomate.

"La diplomatie française doit s'interroger sur les leviers dont elle peut user vis-à-vis d'acteurs récalcitrants. Il semble qu'on ne se pose plus la question à Paris. Quand on conduit une politique étrangère sans bâton ni carotte, on en arrive à ça", juge Jalel Harchaoui, chercheur en géopolitique à l'université Paris 8. (Sophie Louet pour le service français, édité par Yves Clarisse)