par Howard Schneider

WASHINGTON, 28 avril (Reuters) - Si l'on en croit Donald Trump, renégocier l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena) et d'autres traités internationaux permettrait de compenser largement l'impact des baisses d'impôts qu'il a promises.

Mais le président américain pourrait bien se tromper, et de beaucoup, selon plusieurs économistes et spécialistes du commerce international interrogés par Reuters, qui expliquent que considérer les échanges commerciaux comme de simples flux bilatéraux, comme le fait Donald Trump, n'a pas beaucoup de sens.

Dans un entretien à Reuters jeudi, le président a en effet déclaré qu'au vu du déficit commercial des Etats-Unis avec le Mexique, actuellement de 61 milliards de dollars (56 milliards d'euros) par an, les deux pays auraient intérêt à cesser purement et simplement tous leurs échanges commerciaux, ajoutant qu'"on économiserait un sacré paquet d'argent".

Mais cette prédiction ne prend absolument pas en compte les répercussions qu'aurait un tel arrêt des échanges sur les deux pays, que ce soit en matière de prix, d'évolution de leurs monnaies, d'emploi et de salaires.

Pour Claude Barfield, spécialiste du commerce international à l'American Enterprise Institute, un cercle de réflexion conservateur, "cette conception du déficit commercial et de son supposé impact négatif (...) est absurde et (Trump) s'y tient depuis les années 1980".

"Cela pourrait se produire", a-t-il ajouté à propos d'une rupture des relations commerciales entre les Etats-Unis et le Mexique, "mais le processus nécessaire pour y parvenir serait extrêmement perturbateur".

"Il faut réfléchir aux effets directs et aux effets secondaires" sur l'organisation des secteurs concernés et sur les modes de consommation, a-t-il ajouté.

DU GUACAMOLE "MADE IN USA", UNE BONNE IDÉE ?

Dans le cas du Mexique, les entreprises américaines, qui ont exporté pour environ 250 milliards de dollars de biens et de services vers le marché mexicain l'an dernier, devraient trouver de nouveaux débouchés, et sans doute supprimer des emplois dans l'intervalle.

A l'inverse, les entreprises américaines qui ont importé pour 323 milliards de dollars depuis le Mexique en 2016 devraient trouver d'autres fournisseurs, sans doute plus chers - à condition qu'ils existent aux Etats-Unis, ce qui n'est pas certain.

Pour Marcus Noland, économiste du commerce international au Peterson Institute for International Economics, rien ne permet d'assurer que la fermeture de la frontière mexicaine permettait aux Etats-Unis d'"économiser" de l'argent.

Cela pourrait en effet freiner la consommation en faisant monter les prix si les fournisseurs mexicains étaient remplacés par des entreprises américaines, ou conduire à une augmentation des importations en provenance d'autres pays.

"Les Américains semblent beaucoup aimer le guacamole", explique-t-il, "mais imaginons que nous aurons des serres géantes pour cultiver des tas d'avocats et de citrons: le fait que nous les achetions aujourd'hui au Mexique plutôt que de les produire nous-mêmes montre que les produire nous-mêmes revient plus cher."

"On peut arrêter de commercer avec les Mexicains et se retrouver avec 60 milliards de dollars de consommation en moins", ajoute-t-il.

Une telle perspective n'est sans doute pas le but recherché par Donald Trump puisque la consommation est le principal moteur de la croissance aux Etats-Unis. Même si, notent des économistes, cela permettrait de ramener la balance commerciale américaine à l'équilibre, un autre souhait de la Maison blanche.

COMMERCE EXTÉRIEUR ET DÉFICIT BUDGÉTAIRE PAS FORCÉMENT LIÉS

La plupart des économistes sont en fait en désaccord avec l'idée selon laquelle le déficit commercial est problématique pour un pays comme les Etats-Unis.

A cette échelle, expliquent certains, les échanges sont fortement influencés par les flux mondiaux d'épargne et d'investissement, qui ont favorisé les Etats-Unis ces dernières années.

De ce point de vue, la situation des Etats-Unis vis-à-vis du reste du monde s'est régulièrement améliorée grâce à des flux d'investissements réguliers vers le marché américain, qui ont soutenu la création de millions d'emplois.

Le déficit des comptes courants, qui regroupe les échanges commerciaux, les flux d'investissements et d'autres transferts financiers transfrontaliers, a eu tendance à diminuer ces dix dernières années et représente désormais moins de 2% du produit intérieur brut (PIB).

Donald Trump a par ailleurs déclaré ne pas être préoccupé par le risque de voir sa réforme fiscale creuser le déficit budgétaire "parce que nous allons conclure des accords commerciaux qui vont compenser une part fantastique des déficits". Mais les économistes estiment que les liens entre commerce et budget sont très complexes et sans doute limités.

Si Donald Trump parvenait à effacer totalement le déficit commercial américain, qui avoisine 500 milliards de dollars par an, cela ne représenterait de toute façon qu'une petite partie des quelque 7.000 milliards de recettes dont sa réforme fiscale risque de priver l'Etat fédéral sur la décennie à venir.

Selon Alan Cole, un économiste de la Tax Foundation, un dollar de PIB génère environ 17,6 cents de recettes fiscales fédérales, ce dont on peut conclure que les 500 milliards de déficit commercial ne représentent que 88 milliards de recettes fiscales potentielles.

Et cette estimation semble bien généreuse, poursuit-il.

"Il faut savoir d'où viendra la nouvelle production, de qui, dans quelle région. Faudra-t-il construire de nouvelles usines ? Et si c'est le cas, pourquoi n'ont-elles pas déjà été construites ?"

(Marc Angrand pour le service français)