* L'Occident, l'Iran et Assad ont un ennemi commun

* Le régime d'Assad entrevoit des contacts secrets

* Les services syriens peuvent faire valoir leur connaissance développée de l'EI

par Tom Perry

BEYROUTH, 21 août (Reuters) - Pour la Syrie, la montée en puissance des djihadistes de l'Etat islamique (EI) poussera tôt ou tard les Occidentaux à négocier avec le président Bachar al Assad qu'ils ont diabolisé mais dont ils devront reconnaître le rôle clé pour faire face à cette menace.

Alors même que les forces d'Assad s'opposent aux combattants de l'EI dans la guerre civile syrienne, ces derniers sont la cible de frappes aériennes américaines dans le nord de l'Irak.

La résolution du Conseil de sécurité des Nations unies visant les activités islamistes en Irak et en Syrie adoptée le 15 août à l'unanimité a aussi conforté Assad dans sa conviction que les Etats-Unis comme les Européens se rapprochaient de plus en plus de son analyse du conflit, soulignent des sources proches du régime de Damas.

Des représentants des puissances occidentales qui ont soutenu le soulèvement contre Bachar al Assad rejettent toute idée de rapprochement. La Syrie n'est pas l'Irak, disent-ils.

Mais la menace représentée par l'Etat islamique commence à faire évoluer les esprits sur la politique à l'égard de la Syrie.

Après plus de trois ans de guerre civile, l'opposition modérée dont les Occidentaux pensaient qu'elle finirait par l'emporter est désormais éclipsée par les islamistes radicaux. Pour le régime de Damas, le combat contre l'EI ouvre de nouvelles perspectives.

Washington, qui l'avait menacé de frappes aériennes l'an dernier après l'avoir accusé d'utiliser des armes chimiques contre sa population, s'en tient à sa ligne officielle, exigeant le départ du dirigeant syrien. "Il est une partie du problème", a récemment rappelé Ben Rhodes, conseiller adjoint à la sécurité nationale auprès du président des Etats-Unis.

Assad ne s'attend pas à un revirement des Occidentaux à court terme, selon les sources proches du régime. Mais, alors qu'il a sécurisé la partie du territoire syrien cruciale pour sa survie, le temps joue pour lui.

"Le régime reconnaît qu'une ouverture des Occidentaux se fera en secret, via les services de renseignements plutôt que par la voie diplomatique. L'ouverture politico-diplomatique demande plus de temps", note Salem Zahran, un journaliste libanais proche de Damas. "Mais le régime pense que le monde entier devra se coordonner avec lui sous la bannière du 'combat contre le terrorisme'."

L'IRAN COURTISÉ

Damas se présente d'ailleurs comme un partenaire dans le combat contre un ennemi commun qui a proclamé un "califat" regroupant les territoires de Syrie et de l'Irak qu'il contrôle.

Les forces d'Assad ont subi de lourdes pertes dans leurs engagements contre celles de l'Etat islamique et l'aviation syrienne a pilonné la ville de Rakka, bastion des djihadistes de l'EI dans le nord-est de la Syrie, le week-end dernier.

Assad a dénoncé ses opposants comme des extrémistes dès le début du soulèvement contre son régime en 2011 après la répression violente qu'il avait orchestré contre les manifestations inspirées du printemps arabe. Pour ses détracteurs, il a ainsi encouragé la radicalisation de ses opposants.

Les groupes islamistes dominent désormais une opposition divisée même si la rivalité entre l'EI et le front al Nosra, branche officelle d'Al Qaïda en Syrie, a dégénéré en combats entre leurs partisans.

Les autres combattants islamistes réunis au sein du Front islamique sont en perte de vitesse et confrontée à l'avancée des forces de l'EI au nord d'Alep, le deuxième ville syrienne, également encerclée par les forces gouvernementales.

L'Armée syrienne libre, un temps considérée par les Occidentaux comme le fer de lance de l'opposition modérée, est désormais quasi inexistante.

"Assad a mis l'opposition au pied du mur. Ils ont fait tout ce qu'il pouvait espérer, ils sont devenus plus sanguinaires que lui, se sont transformés en une bande de coupeurs de têtes et de radicaux islamistes", relève Joshua Landis, spécialiste de la Syrie à l'Université de l'Oklahoma.

Les Etat occidentaux qui ont diabolisé Assad auront du mal à retravailler avec lui. Mais, ajoute Landis, il a des amis qui pousseront en faveur de cette approche, notamment l'Iran et le Premier ministre désigné d'Irak, le chiite Haïdar al Abadi, "qui vont sans aucun doute développer l'argument selon lequel on ne peut pas être à la fois contre l'Etat islamique et contre Assad".

Même l'Arabie saoudite dont l'hostilité au régime d'Assad tient à ses liens avec l'Iran chiite, semble de plus en plus s'alarmer de la montée en puissance de l'EI.

Les Etats-Unis, inquiets des financements apportés à l'EI par ses sympathisants, travaillent avec les autorités de la région pour qu'ils les enrayent, a déclaré la porte-parole du Département d'Etat, Marie Harf.

Réagissant aux appels en vue d'un rapprochement avec Assad, Ben Rhodes a rappelé que c'est la politique du dirigeant syrien qui avait permis le développement de l'EI sur son territoire.

Mais pour lutter contre le mouvement djihadiste, le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius, a prôné mercredi une action coordonnée des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'Onu et des pays du Proche-Orient, y compris l'Iran, soutien d'Assad.

Le président français François Hollande avait auparavant annoncé son intention de proposer dès septembre à ses partenaires une conférence internationale sur la sécurité en Irak et la lutte contre l'EI.

L'ancien ministre britannique des Affaires étrangères Malcolm Rifkind s'était, lui aussi, déclaré plus tôt dans la semaine, en faveur d'une coopération avec l'Iran.

"Si nous devons travailler avec l'Iran pour vaincre l'Etat islamique, faisons-le", écrivait-il dans une tribune publiée par le Daily Telegraph.

Pour Ghaleb Kandil, un autre journaliste proche du régime de Damas, l'Occident sera obligé de négocier avec Assad tôt ou tard. En échange de sa coopération, il demandera sa pleine réhabilitation politique, estime-t-il.

"L'Etat syrien est la seule instance disposant de suffisamment de renseignements sur les terroristes", souligne-t-il. (avec Mariam Karouny à Beyrouth et Missy Ryan à Washington; Marc Joanny pour le service français, édité par Henri-Pierre André)