par Susan Heavey et Steve Holland

WASHINGTON, 16 août (Reuters) - Le revirement opéré mardi soir par Donald Trump sur les violences commises à Charlottesville a provoqué un sentiment de malaise parmi les républicains modérés et suscité des commentaires critiques à l'étranger, notamment en Allemagne et au Royaume-Uni.

Il a aussi relancé les démissions de grands patrons qui avaient accepté de le conseiller sur sa politique industrielle et économiques, poussant le président américain à annoncer la dissolution de ces instances de consultation où ils siégeaient.

Donald Trump, qui avait condamné dans une courte allocution lundi à la Maison blanche le racisme, le Ku Klux Klan, les néonazis et les suprémacistes blancs, est revenu mardi soir au cours d'une conférence de presse houleuse à New York à sa position initiale consistant à renvoyer dos à dos les manifestants de l'"alt right" (la droite extrême) et les militants antiracistes auxquels ils se sont heurtés.

TRUMP COUPE LES PONTS AVEC LES PDG QUI LE CONSEILLAIENT

Sa prise de parole face aux journalistes réunis à la Trump Tower a relancé les démissions de chefs d'entreprise qui siégeaient au sein de deux commissions mises en place par Trump pour le conseiller.

Confronté à cette vague de départs, le 45e président des Etats-Unis a jugé préférable de couper court à l'expérience et de dissoudre ces commissions. "Plutôt que de faire pression sur les hommes d'affaires du Conseil des industriels et du Forum de stratégie et de politique, je les arrête tous les deux. Merci à tous", a-t-il tweeté.

Le mouvement avait été initié dès lundi par le PDG du groupe pharmaceutique Merck, Kenneth Frazier. Dans sa déclaration, Frazier, qui appartient à la communauté africaine-américaine, soulignait que "la force de notre pays découle de sa diversité et des contributions d'hommes et de femmes de fois, de races, d'orientations sexuelles et de convictions politiques différents".

Donald Trump avait alors réagi avec ironie à ces démissions. "Pour chaque PDG qui se retire du Conseil des industriels, j'en ai plein d'autres disposés à prendre leur place", avait-il notamment écrit sur son compte Twitter.

La conférence de presse de mardi soir a accéléré le mouvement. "Ça a été une véritable tempête. On ne sait pas ce qui nous attend, on ne sait pas ce qu'il va dire ou faire", a expliqué un des membres du Forum de stratégie et de politique à CNBC.

Stephen Schwarzman, PDG du fonds d'investissement Blackstone qui présidait le Forum de stratégie et de politique, a pris l'initiative d'une conférence téléphonique avec ses pairs et constaté qu'une majorité écrasante d'entre eux étaient partisans d'une autodissolution, ont rapporté deux sources à Reuters. Ce proche allié de Trump dans le monde des affaires l'a alors appelé pour l'informer, et le président a annoncé que c'était lui qui avait débranché ces deux commissions.

Leur démantèlement a mis sous pression la Bourse de New York qui a fini en légère hausse mais sous ses pics du jour. "Cela fait encore un peu plus douter des capacités du président à mettre en oeuvre sa politique", a expliqué David Schiegoleit, directeur des investissements chez Bank Private Wealth Management.

MALAISE AU PARTI RÉPUBLICAIN

Sur le plan politique, un sentiment de malaise a gagné l'aile modérée du Parti républicain, effarée de voir un ancien chef du Ku Klux Klan, David Duke, remercier le président "pour (son) honnêteté et (son) courage de dire la vérité sur Charlottesville et de condamner les terroristes de gauche de BLM/antifa (Black Lives Matter/antifascistes)".

Sans mentionner le nom du président, Mitch McConnell, chef de file de majorité républicaine au Sénat qui s'était attiré les foudres de Trump la semaine dernière après l'échec d'un projet de loi sur la réforme de la santé, a estimé que les "messages de haine et de sectarisme" des suprémacistes blancs, du Ku Klux Klan et des groupes néonazis ne devaient être accueillis nulle part aux Etats-Unis.

John Kasich, gouverneur de l'Ohio et ex-adversaire de Trump dans les primaires républicaines l'an dernier, a déclaré qu'il ne pouvait y avoir d'équivalence morale entre le Ku Klux Klan et les néonazis d'une part et toute autre organisation de l'autre.

"C'est terrible. Il faut que le président des Etats-Unis condamne ce genre de groupes de haine", a-t-il dit mercredi matin sur NBC. Faute de quoi, a-t-il ajouté, ces mouvements auront l'impression d'avoir remporté une victoire et l'autorisation d'organiser d'autres événements ailleurs.

Dans un communiqué commun, George H. Bush et George W. Bush, les deux précédents locataires républicains de la Maison blanche, ont déclaré que "l'Amérique devait toujours rejeter le sectarisme racial, l'antisémitisme et la haine sous toutes ses formes".

Au sein de l'administration, le vice-président, Mike Pence, en déplacement au Chili, a "apporté son soutien aux propos du président sur Charlottesville".

Le secrétaire d'Etat Rex Tillerson a noté pour sa part qu'il ne pouvait y avoir de place dans le débat public pour "la haine et la violence" qui se sont manifestées à Charlottesville.

S'exprimant sous le sceau de l'anonymat, un ancien haut responsable de l'administration Trump a émis la possibilité que certains membres actuels du gouvernement ne remettent leur démission.

Cette nouvelle controverse risque de compliquer la tâche de Trump, qui a besoin du soutien des élus républicains au Congrès pour faire adopter les projets inscrits à son agenda, dont une réforme des impôts.

LES ALLIÉS DE L'AMÉRIQUE SOUS LE CHOC

Renvoyer dos à dos des suprémacistes blancs et les contre-manifestants a été durement critiqué chez les plus proches des Etats-Unis, notamment en ALLEMAGNE où la chancelière Angela Merkel a condamné "la violence raciste de l'extrême droite".

Martin Schulz, le chef de file du Parti social-démocrate (SPD) aux élections législatives du 24 septembre, s'est montré encore plus direct dans ses critiques à l'égard du président américain.

"La banalisation de la violence nazie par les déclarations confuses de Donald Trump est très dangereuse", a réagi l'ancien président du Parlement européen. "Nous ne devrions pas tolérer de telles monstruosités sortant de la bouche d'un président", a-t-il ajouté dans un entretien au groupe de presse RND.

A LONDRES, la Première ministre britannique Theresa May a elle aussi estimé mercredi qu'il n'était pas possible de mettre sur le même plan les fascistes et ceux qui s'opposent à leurs thèses.

"Il n'y a pas d'équivalence, je ne vois pas d'équivalence entre ceux qui expriment des opinions fascistes et ceux qui s'y opposent et je pense qu'il est important que tous ceux qui occupent des responsabilités condamnent les positions de l'extrême droite d'où qu'elles s'expriment", a déclaré la chef du gouvernement britannique.

Même si elle s'est gardée de critiquer directement Trump, sa déclaration a surpris les observateurs tant la dirigeante conservatrice, engagée dans des négociations ardues sur le Brexit, s'efforce d'entretenir de bonnes relations avec Washington - où elle était devenue le 27 janvier la première dirigeante étrangère à être reçue par le nouveau président américain.

Vince Cable, le chef de file des Libéraux démocrates, a enjoint à May d'annuler l'invitation faite à Trump de venir en visite d'Etat au Royaume-Uni. "Après que Donald Trump a disculpé le meurtre et la haine des suprémacistes blancs, pourquoi est-il toujours sur la liste des invités officiels du Royaume-Uni ?", a-t-il tweeté.

En ISRAËL, la ministre de la Justice, Ayelet Shaked, membre du Foyer juif, un parti ultranationaliste, a estimé que "les néonazis aux Etats-Unis devraient être poursuivis en justice". "Ce n'est pas ce qu'à doit devait servir la Constitution américaine", a-t-elle ajouté, allusion à son premier amendement qui consacre la liberté d'expression.

(avec Michael Erman à New York, Andrea Shalal et Noah Barkin à Berlin et Alistair Smout à Londres; Pierre Sérisier et Henri-Pierre André pour le service français)