Buenos Aires (awp/afp) - Nouveau président, nouvelle politique économique, l'Argentine reprend sa place cette semaine dans l'économie mondialisée en lançant une grande émission de dette, célébrée par les marchés mais controversée dans le pays.

L'émission de 12 à 15 milliards de dollars qui débute lundi et devrait être bouclée mardi "sert en partie à payer les fonds vautours, à finaliser l'accord avec les derniers créanciers (après le défaut de paiement de 2001) et à donner à l'Etat une marge de manoeuvre pour relancer l'économie du pays", explique Gaspard Estrada, directeur exécutif de l'Opalc, observatoire sur l'Amérique latine de Sciences Po Paris.

En un temps record - quatre mois -, le nouveau président de centre-droit Mauricio Macri a lancé de nombreuses réformes dans la 3e économie d'Amérique latine et conclu un accord avec les fonds "vautours" qui avaient fait condamner l'Argentine devant la justice américaine.

"C'est un évènement important, qui marque un changement d'époque", estime M. Estrada.

En arrivant à la présidence en 2003, Nestor Kirchner avait rompu avec les organismes financiers internationaux. Pour lui, Fonds monétaire international (FMI) et Banque mondiale avaient inspiré la politique ultra-libérale du président Carlos Menem, dans les années 1990 (1989-1999).

"De cette manière, l'Argentine en finit avec le défaut de paiement de 2001", note l'économiste argentine Marina Dal Poggetto.

"Cela permet au pays de de se financer, c'est bon à court terme (...) A moyen terme, il va falloir corriger les déséquilibres car la dette n'est pas une stratégie en soi", ajoute-t-elle, en référence au déficit budgétaire qui était de 6% du PIB début 2016 et à la relance nécessaire de l'économie.

La question est désormais de savoir à quel taux d'intérêt l'Argentine pourra emprunter. Alors que les pays sud-américains empruntent entre 3 et 4%, les banques ne devraient pas lui accorder des taux aussi bas.

D'après le ministre des Finances Alfonso Prat Gay, la demande des investisseurs est supérieure à l'offre.

- Craintes de l'opposition -

L'endettement, c'est ce qui a conduit l'Argentine à la crise économique de 2001. Les craintes émergent donc depuis l'annonce d'une énorme émission de dette. Si les marchés s'enthousiasment, l'opposition critique la méthode.

Pour l'ex-ministre des Finances Axel Kicillof, la levée de liquidités sur les marchés sera suivie d'ajustements douloureux pour les Argentins, qui souffrent déjà d'une inflation annuelle de 30% entamant leur pouvoir d'achat, et de pertes d'emploi.

"Payer aux fonds vautours sans sourciller, affirme-t-il, ce n'est rien d'autre qu'une condition imposée par les banques étrangères pour prêter à Macri l'argent dont il a besoin. La première des conditions. Ensuite, apparaîtra sûrement la +suggestion+ d'appliquer un programme d'ajustement du FMI", affirme M. Kicillof.

"Une fois de plus, l'histoire se répète et le passé rattrape les Argentins: endettement, dévaluation, licenciements", dénonce l'ex-présidente de gauche Cristina Kirchner qui a fait cette semaine son retour politique, à la faveur d'une convocation chez un juge.

En arrivant au pouvoir en décembre, Mauricio Macri a hérité d'une économie argentine cadenassée par des mesures protectionnistes mais faiblement endettée, selon les standards internationaux.

- Clause anti-'vautours' -

De 2003 à 2015, fait remarquer M. Estrada, l'Argentine "a pu se désendetter grâce au boom des matières premières, la dette a été restructurée et pendant dix ans, le pays n'a pas emprunté".

Le ministère du Budget a annoncé vendredi que les banques Deutsche Bank, HSBC, JP Morgan, Santander, BBVA, Citigroup et UBS avaient été retenues pour émettre la dette.

Les fonds empruntés donneront de l'air au pays sud-américain, mais c'est également un juteux négoce pour les banques.

"L'Argentine est un acteur membre du G20, c'est une grosse économie, cela veut dire plus d'affaires pour les marchés internationaux", précise Gaspard Estrada.

Par précaution, Buenos Aires a fait figurer une clause d'action collective (CAC) prévoyant qu'une minorité de créanciers ne peut s'opposer à une restructuration de dette. Les CAC sont désormais fréquentes dans les contrats de dette, tirant les leçons du cas argentin.

afp/rp