"Didier Roman, vous gérez le fonds Tocqueville PME, quel regard portez-vous sur le parcours effectué par les petites et moyennes valeurs européennes depuis le début de l’année ?
Le premier semestre s’est caractérisé par une remarquable performance du segment des petites et moyennes valeurs européennes.
Les indices small et mid caps ont gagné 13% en Belgique, 15% en France, 16% en Allemagne, 18% en Espagne, 25% en Italie...
Diverses justifications à cela.
D’abord, la toile de fond macroéconomique s’est notablement améliorée. Les perspectives de croissance en Europe ont été révisées à la hausse par plusieurs organisations internationales (OCDE, FMI). Or les marchés des petites et moyennes valeurs sont avant tout régionaux.

Ensuite, nous avons assisté à la levée des incertitudes politiques dans plusieurs grands pays européens suite au déroulement des élections, notamment en Autriche, aux Pays-Bas et en France. En Espagne, le gouvernement du premier ministre Rajoy a pu affermir sa légitimité.
Les élections à venir en Allemagne ne sont pas source d’une grande inquiétude.

Reste une petite zone d’ombre en Italie. Cependant l’absence de percée des partis extrémistes dans les pays voisins et les récents revers essuyés par le mouvement « Cinq étoiles » tendent à quelque peu rassurer.

Comment expliquez-vous le +25% en Italie ?

L’Italie a mis en place un produit d’épargne doté d’un avantage fiscal en faveur des PME, un peu l’équivalent de notre PEA PME en France, qui a drainé beaucoup de flux.

Remarque-t-on une nette disparité entre les secteurs sur le plan de la performance ?

Notre stratégie d’investissement n’exclut aucun secteur car nous avons la conviction qu’il existe dans tous, des opportunités.
Ceci étant, certains pans de l’économie ont tiré la performance du segment des small et mid caps : les valeurs technologiques notamment grâce au développement du digital, et les valeurs cycliques, en particulier la transformation des matières premières, en raison du renforcement des perspectives de croissance.

Quelle vision avez-vous de la valorisation des sociétés technologiques ?

De prime abord, la valorisation élevée de ces sociétés - entre 10 et 12 fois les résultats d’exploitation contre une moyenne entre 9 et 10 - est fondée, entre autre car la demande est au rendez-vous. Pourtant, des tensions sont palpables sur le recrutement.
Nous restons très vigilants dans l’analyse individuelle des sociétés, avec un focus sur l’existence d’un effet de levier opérationnel.

Demeure-t-il des secteurs décotés à votre sens ?

Je ne pense pas. Nous pouvons trouver des valeurs décotées qui sont en retournement, qui ont pris du retard dans leur stratégie ou qui ont restructuré leur management, mais pas des secteurs entiers décotés par rapport aux multiples historiques.
Une exception peut-être dans la distribution. Ce secteur fait face à une vive concurrence des sociétés de e-commerce. Même s’il peut y avoir de belles histoires, comme celle de la Fnac avec la génération d’une marge opérationnelle de l’ordre de 3%.

Qu’attendez-vous sur ce segment des small et mid caps au second semestre ?

Les multiples de valorisation attendus se situent à 17 fois les bénéfices 2017 et 16 fois les bénéfices 2018, plus élevés que la moyenne historique.

Trois facteurs devraient peser sur les marchés au cours de la seconde moitié de l’année : les aléas qui entourent les politiques monétaires, la faiblesse de la politique de Donald Trump - et par ricochet l’évolution des taux de change - et les décisions effectivement prises s’agissant de la baisse de la fiscalité appliquée aux entreprises.

Un euro fort pèse sur les exportations et un dollar faible a un effet de conversion négatif, dans un environnement où la hausse des chiffres d’affaires est toujours limitée.

Côté fiscal, l’abaissement de l’impôt sur les sociétés en France, de 33% à 28,5%, comme dans d’autres grands pays européens est de nature à doper les bénéfices par actions des petites et moyennes sociétés.
Ainsi, avec l’ajout de 5/6% de résultats, les valorisations ne semblent plus aussi tendues.

En somme, des éléments de soutien existent. S’ils se confirment, les small et mid caps pourraient poursuivre leur performance au second semestre de cette année.

Un autre facteur clé à suivre résidera dans la variation de l’inflation ?

Une remontée des prix serait salutaire pour les valeurs moyennes car elle permettrait au levier opérationnel d’être actionné. En effet, dans beaucoup de secteurs, ils sont encore orientés à la baisse.

Les small et mids caps pourraient-elles surperformer les large caps cette année ?

Tout dépend du comportement des banques et des sociétés pétrolières, principalement présentes au sein des grandes capitalisations.

Quelle lecture faites-vous des résultats publiés à l’issue du premier semestre ?

Nous avons été confrontés à une série de déceptions, avec de surcroit, de violentes sanctions, par exemple sur Spie, Tarkett, Gemalto.
Ces ajustements des cours peuvent être des sources d’opportunités, si l’on a la ferme conviction qu’ils sont la conséquence d’accidents de parcours isolés et que le leadership est toujours là.
En cela, un bon stock-pickeur doit être en mesure de tirer son épingle du jeu cette année.

Qu’en est-il de votre allocation d’actifs sur le segment ?

Notre objectif est de nous positionner au début des « success stories ».
Au lancement du fonds Tocqueville PME, nous étions positionnés sur des petites capitalisations boursières, d’environ 600 millions d’euros. Actuellement, la capitalisation boursière moyenne est de 648 millions.
Certaines sociétés du portefeuille ont très bien performé et ont vu leur capitalisation augmenter à plusieurs milliards d’euros.
Pour garantir notre impératif de liquidité, nous allons probablement nous intéresser à des sociétés de taille supérieure, de l’ordre du milliard d’euros de capitalisation, ce qui ne nous empêchera pas d’investir, quand l’occasion se présentera, sur des capitalisations de 30 ou 40 millions d’euros.

Nous mettons l’accent sur la France sur un plan géographique, et n’avons pas d’interdits en termes de secteurs, sur lesquels nous avons une expertise.
A ce jour, 24% du fonds sont investis sur les valeurs technologiques. L’autre secteur dominant est l’industrie des biens et des services. Le reste du portefeuille est très diversifié dans les services aux collectivités, l’agroalimentaire, l’assurance, l’automobile...

Quelles nouvelles valeurs avez-vous introduit dans votre fonds depuis le début de l’année ?
Nous venons de constituer une ligne sur Bilendi, société spécialisée dans la constitution de panels. C’est une activité non cyclique et en plein essor avec d’importantes barrières à l’entrée. Les panels sont vendus à des cabinets d’étude, instituts de sondage, entreprises pour mener des enquêtes. L’entreprise a réalisé plusieurs opérations de croissance externe qui lui ont permis d’élargir sa présence en Europe. Depuis le début de l’année l’action a grimpé de plus de 50%, à 9,33 euros. Notre objectif est à 12 euros.

Une autre valeur sur laquelle nous nous sommes positionnés cette année est April, spécialisée dans l’assurance emprunteur et l’assurance prévoyance. Avec la mise en place du système général de mutuelle collective, la société a dû faire face à une baisse des prix et à une dégradation de sa rentabilité. D’autant plus que certaines de ses activités à l’international ont été en perte. Suite à cette phase de turbulences, elle a su stabiliser ses parts de marché et retrouver un nouvel essor. Elle dispose d’une trésorerie de 100 millions d’euros et se négocie aujourd’hui environ 12 fois les résultats. Elle a récemment fait l’objet de prises de profits de la part des investisseurs ce qui explique sa contreperformance de ces derniers jours. Cela a été l’occasion pour nous de nous renforcer sur le titre.

Enfin, un autre dossier que nous pouvons évoquer est Balta qui fait 500 millions d’euros de capitalisation depuis son introduction en bourse. La société, détenue par des fonds, fabrique de la moquette et des tapis pour les chaines de grande distribution, comme Ikéa. Elle a subi une réaction quelque peu épidermique suite à la divulgation d’une enquête à la concurrence qui a conduit des concurrents à provisionner des sommes importantes. La valorisation est 20% inférieure à celle du secteur.

Quelle est la performance de votre fonds à mi année ?

A fin juin, la performance du fonds est un peu en retard par rapport à celle de l’indice CAC Small en raison de trois principaux dossiers.
Le premier est Orchestra, société de distribution de vêtements pour enfants. Le flottant a été élargi, suite à la cession des titres des principaux actionnaires. Nous pensions que la stratégie conçue était intéressante mais la direction n’a pas été en mesure de tenir ses engagements. La sanction du marché ne s’est pas faite attendre.

Nous avons eu aussi deux déceptions dans le secteur de la biotechnologie. Tout d’abord Cerenis Thérapeutics. Un test a mis en évidence que la molécule développée n’avait pas d’effet par rapport à un placebo. Ensuite AB Science. La société a été contrainte par les autorités sanitaires à suspendre les essais cliniques du fait d’un défaut de relevés des données des patients.

Si nous avons retiré du fonds Orchestra et Cerenis Thérapeutics, nous avons conservé AB Science car nous considérons que la société a une molécule prometteuse.
Comment pressentez-vous la suite des évènements pour les prochains mois ?
A priori nous ne voyons pas d’accidents comparables sur la seconde partie de l’année.

Quel vous paraît être le principal risque pour le segment au cours des prochains mois ?

Le principal risque me paraît venir des Etats-Unis, avec un président américain qui peine énormément à mettre en place les réformes sur lesquelles il s’était engagé : plan de relance, baisse d’impôt, réformes de l’Obamacare, sanctions sur les produits importés...
Certains économistes ont révisé négativement leurs prévisions sur la macroéconomie américaine. C’est un risque pour les marchés en général.

Cela vous amène-t-il à éviter les small et mid caps européennes exposées au marché américain ?

Nous n’évitons pas en tant que telles ces sociétés. Cependant nous sommes attentifs au risque de change. Pour une société qui aurait 1 milliard de chiffres d’affaires et 50% de ses parts de marché aux Etats-Unis, il faudrait regarder en quelle devise est libellée sa dette. Si la devise de référence est l’euro et que les revenus sont générés en dollar, cela pourrait constituer une source de déception. De même une société qui réalise l’essentiel de ses marges aux Etats-Unis pourrait décevoir sur ses résultats en raison de l’effet de conversion négatif.

*Avertissement : les performances passées ne préjugent pas des performances futures.
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