ALGER, 18 avril (Reuters) - Abdelaziz Bouteflika, reconduit à la tête de l'Algérie avec 81,53% des voix, va entamer un quatrième mandat affaibli par les suites de l'accident vasculaire cérébral dont il a été victime il y a un an au point de se rendre en fauteuil roulant à son bureau de vote.

Pour ses partisans, le président algérien, qui est âgé de 77 ans, est celui qui a su restaurer la paix civile dans un pays épuisé par les 200.000 morts de la "décennie noire" des années 1990 et un gage de stabilité.

Ses détracteurs le voient comme l'incarnation des "libérateurs" du FLN et de l'armée confisquant le pouvoir depuis l'indépendance, en 1962.

En mai 2012, à Sétif, il jugeait le moment venu de passer la main pour ceux de sa génération. "Pour nous, c'est terminé", dit-il.

En dépit de l'AVC dont il a été victime en avril 2013, de ses trois mois d'hospitalisation à l'hôpital parisien du Val-de-Grâce et de sa lente convalescence, il s'est pourtant représenté.

Lors de la campagne, qu'il a traversée dans le silence et sans la moindre apparition en meeting électoral, c'est son directeur de campagne, l'ex-Premier ministre Abdelmalek Sellal, qui a expliqué le sens de cette candidature.

"Il organise le transfert vers une république nouvelle. Il veut faire le transfert générationnel et il va le faire. On ne peut pas assurer aussi facilement un transfert", a-t-il dit.

"CHARTE POUR LA PAIX ET LA RÉCONCILIATION"

C'est en 1999 qu'Abdelaziz Bouteflika accède à la magistrature suprême au terme d'une éclipse politique d'une vingtaine d'années qui a interrompu une longue et brillante carrière de ministre des Affaires étrangères.

Elu avec l'appui d'un appareil militaire désemparé devant la persistance de l'islamisme armé, il atteint avec sa réélection triomphale de 2004 l'apothéose à laquelle il oeuvrait depuis plus de 40 ans.

Il obtient cette année-là près de 85% des voix. Avec 6% à peine, son rival, Ali Benflis, qui a de nouveau tenté sa chance cette année, est humilié.

Le président réussit à la fois à cantonner l'armée dans ses casernes et à tourner la page de la guerre civile en faisant adopter par référendum une "charte pour la paix et la réconciliation" avec plus de 97% des voix.

Cinq ans plus tard, il dépasse les 90%. L'opposition dénonce une fraude "industrielle".

Au ban de la communauté internationale au plus fort du conflit contre les maquis islamistes, l'Algérie devient graduellement, sous sa férule, une alliée ferme et résolue des Etats-Unis dans leur "guerre contre le terrorisme".

"L'Algérie était isolée et j'ai amélioré son image à l'étranger et j'ai défendu ses intérêts à Paris, Washington et Tokyo", s'est un jour targué Abdelaziz Bouteflika.

ÉCLIPSE, EXIL, RETOUR

Petit homme au regard perçant, au verbe facile et à la saillie cinglante, Bouteflika est entré très tôt en politique sous l'égide de son mentor, le colonel Houari Boumediène, qui dirigea l'Algérie de 1965 à 1978.

Ce dernier, qu'il rencontre après s'être enrôlé à 19 ans dans l'Armée de libération nationale (ALN), l'impose à Ahmed Ben Bella, premier président de l'Algérie indépendante, comme chef de la diplomatie en 1963. Bouteflika était entré au gouvernement l'année précédente à l'âge de 24 ans en tant que ministre de la Jeunesse, des Sports et du Tourisme.

Pendant seize ans, il dirige la diplomatie algérienne avec un tiers-mondisme militant et brillant. Alger devint le passage obligé des diplomates du monde entier et le relais incontournable entre l'Occident et les jeunes nations indépendantes soutenues par l'Union soviétique.

Mais la mort de son mentor, en décembre 1978, marque le début d'une "traversée du désert" de plus de 20 ans. Convaincu de sa puissance, ébloui par ses succès internationaux qui l'éloignent souvent, il n'a pas perçu l'hostilité que son charisme inspirait à certains généraux.

Ces derniers lui préfèrent le colonel Chadli Bendjedid, qui entreprend la "déboumédiénisation" de l'Algérie. Bouteflika en fait le premier les frais. Accusé de détournements de fonds, il ne sera toutefois jamais jugé. Mais, dessaisi de ses fonctions ministérielles, exclu du bureau politique, puis du comité central du Front de libération nationale (FLN), le parti unique, il est chassé de sa résidence officielle des hauteurs d'Alger.

En 1981, il s'exile en Suisse et devient consultant. En 1987, il rentre discrètement à Alger. Les émeutes de l'année suivante lui donnent l'occasion de se faire entendre. Il plaide en faveur d'une démocratisation de la vie politique. "L'appel des 17" le remet en selle. Deux mois plus tard, il réintègre le comité central du FLN.

SUR FOND DE FRAUDES ?

Alors qu'il pense en avoir terminé avec le purgatoire, la vague islamiste ruine ses espoirs. En janvier 1992, l'armée annule le second tour des élections législatives que le Front islamique du salut (Fis) s'apprêtait à remporter. L'Algérie s'enfonce dans la "décennie noire".

Bouteflika se replie dans le Golfe, tout en restant en contact avec les autorités. Lorsque que, deux ans plus tard, on lui propose la présidence, l'armée refuse ses conditions - les pleins pouvoirs et l'ouverture d'un dialogue avec les islamistes.

Il lui faut patienter cinq ans pour accéder à la magistrature suprême, avec l'aval des généraux, mais sans réelle légitimité, l'opposition ayant boycotté le scrutin.

Les mêmes soupçons de fraudes entachent ses réélections en 2004 et en 2009.

En 2011, son administration échappe au vent de révolte que le "printemps arabe" fait souffler sur la région en accordant des hausses de salaires et des prêts sans intérêt aux jeunes.

Avant même son AVC, sa santé déclinante l'avait fait plus discret ces dernières années. Un ulcère de l'estomac, selon la version officielle, lui vaut d'être opéré en 2005 à Paris. Les notes diplomatiques américaines divulguées par Wikileaks parlent, elles, d'un cancer.

Son absence du débat public depuis l'accident vasculaire cérébral d'il y a un an ne l'a pas empêché d'être réélu. Mais Ali Benflis, avant même la publication des premiers résultats, dénonçait dès jeudi soir un scrutin faussé. "Je ne reconnais pas ces résultats. Je condamne cette fraude." (Pascal Liétout, Marc Delteil, Sophie Louet et Jean-Philippe Lefief pour le service français; édité par Henri-Pierre André)