La faillite des sondeurs et des bookmakers

Depuis l’assassinat de la député travailliste Joe Cox, presque tous les sondeurs s’accordaient pour dire que le risque de Brexit était quasiment réduit à néant, renforçant indirectement la mobilisation dans le camp adverse. Les marchés, eux, ne cessaient de grimper, confortés à la fois par les enquêtes d’opinion et les bookmakers anglais, qui évaluaient à près de 90% la probabilité d’un maintien du pays dans l’Union européenne au moment où commençait le dépouillement aux alentours de 23h. Selon Sky News, même d’ardents partisans du Leave admettaient déjà leur défaite à demi-mot alors que les bulletins rendaient leur verdict depuis une bonne heure. L’occasion pour les fonds spéculatifs de renforcer leurs positions acheteuses.

Si l’on avait voulu volontairement amplifié la panique sur les marchés mondiaux, on ne s’y serait pas pris autrement.

A partir d’une heure du matin, les résultats de Sunderland, fief de l’euroscepticisme, et de Newcastle ont amorcé des vagues massives de ventes finalement justifiées au petit matin par l’épilogue que l’on connait, illustrant une fois de plus la fragilité des statistiques.
 

Un clivage de génération et une mobilisation déséquilibrée

Si on oppose souvent l’Irlande du Nord, l’Ecosse et la capitale londonienne, europhiles, au reste du pays, il existe un autre clivage qui attire les attentions.

Les enquêtes s’accordent toutes entre elles pour avancer que plus on est âgé, plus on est favorable au Brexit. Oui mais dans le même temps, plus on est jeunes, plus on s’abstient.

Le résultat du scrutin peut donc en partie être attribué à la mobilisation de l’électorat sénior, moins éduqué et plus influençable, que la jeunesse britannique a pris le risque de laisser décider pour elle de son avenir.
 

Boris Johnson pris à son propre piège, David Cameron à la postérité

Cameron et Johnson ont-ils sous-estimé l’euroscepticisme du peuple britannique ?

L’un comme l’autre se retrouvent bien penauds à l’issue du scrutin, coupables d’être à l’origine d’un évènement historique à cause de petites manœuvres politiciennes.

Pour s’attirer la sympathie d’une partie de l’électorat sensible aux arguments populistes, le premier avait promis d’organiser un tel référendum en échange de sa réélection aux dernières législatives. Si le caractère démagogique du procédé peut difficilement être contesté, au moins David Cameron est un homme de parole. Seulement n’imaginait-il probablement pas qu’après avoir assuré ses arrières en négociant de nouvelles dérogations auprès de Bruxelles, puis mené campagne pour le maintien du pays dans l’UE, les citoyens britanniques oseraient risquer de se tirer une balle dans le pied. Le Royaume-Uni était le seul pays à bénéficier de l’ensemble des avantages de la communauté des 28, tout en étant dispensé de ses avancées les plus contraignantes (Union monétaire ou espace Schengen notamment). Oui mais parfois la colère l’emporte sur le bon sens, et David Cameron pourrait désormais apparaître dans les livres d’Histoire comme l’homme à l’origine du divorce entre l’Europe et le Royaume-Uni.

Boris Johnson, lui, n’a pas fait campagne pour le Brexit par idéologie, mais dans l’espoir de se présenter aux élections législatives de 2020 comme le candidat de ceux qui n’ont pas été entendus le 23 juin 2016. Cette stratégie n’avait donc réellement de sens que s’il ne l’emportait pas cette fois, comme il l’anticipait largement lui-même. Bien embêté vendredi d’avoir plus que contribué à un tel fiasco, l’ancien maire de Londres aura ainsi mis plus de 48h avant de sortir de son silence pour finalement admettre que les britanniques resteraient européens, même en dehors de l’UE, des propos diamétralement opposés à sa ligne de campagne, annonciateurs d’une probable mort politique.
 

Le paradoxe de la démocratie

Depuis le résultat du dernier référendum, de nombreux électeurs ont concédé avoir voulu exprimer une forme de protestation sans toutefois réellement souhaiter reboucher le tunnel sous la Manche.

Ce mode d’expression populaire montre effectivement ses limites quand les temps sont durs puisqu’il sert davantage d’exutoire au ressentiment personnel des citoyens aux dépens de l’intérêt collectif, phénomène amplifié par une campagne fallacieuse, la marche arrière de plusieurs partisans du Brexit laissant désormais penser que le résultat pourrait être différent en cas de nouveau vote.

Voilà donc un pays qui semble ne pas assumer avoir utilisé la démocratie pour servir in fine l’anti-progressisme, sur le point de réduire ce référendum à son aspect initial, soit à un simple caractère consultatif.

« Ma confiance dans le peuple gouvernant est infinitésimale ; ma confiance dans le peuple gouverné est infinie » disait Charles Dickens, le plus grand romancier britannique.
 

Le triomphe du mensonge

La campagne sur le Brexit s’est largement appuyée sur l’argument selon lequel une sortie de l’Union européenne permettrait au Royaume-Uni de reverser ses 350 millions de livres de contribution hebdomadaire au système de santé du pays.

Cependant, il apparait que Londres aurait participé à hauteur de seulement 163 millions de livres par semaine en 2015, sans compter les économies douanières faites grâce à l’accès au marché commun.

Nigel Farage, le chef de file du parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), a lui-même admis que cette promesse de campagne ne pourrait pas être tenue.
 

Et maintenant ?

Beaucoup d’électeurs se sentent aujourd’hui floués, ce qui laisse une brèche, aussi mince soit-elle, au futur gouvernement pour proposer l’organisation d’un nouveau référendum qui pourrait permettre d’éviter une glissade vers la récession ou l’implosion du royaume, tout en légitimant la nouvelle équipe dirigeante.


Le gouvernement joue la montre, l’UE veut faire un exemple

Après le cataclysme provoqué par le résultat du scrutin, les responsables britanniques tirent le frein à main. Le caractère inédit de la situation place le Royaume-Uni dans une situation critique alors que les risques d’une sortie de l’Ecosse et de l’Irlande du Nord, qui ont massivement voté pour leur maintien en Europe, et d’une longue récession, inquiètent les dirigeants de tous bords.
 
David Cameron a déjà prévenu qu’il n’activerait pas l’article 50 du Traité de Lisbonne, destiné à engager le processus de sortie, avant sa démission et l’arrivée d’un nouveau gouvernement pro-Brexit début septembre.

Si le gouvernement britannique souhaite profiter de l’intervalle pour entamer des discussions sereines avec l’UE, la plupart de ses membres ne l’entendent pas de cette oreille.

A l’exception de l’Allemagne qui reste proche des britanniques, les principales économies de l’UE souhaitent que le Royaume-Uni engage au préalable le processus de sortie en activant la fameuse clause. L’Europe se refuse à relâcher la pression et à faire la moindre concession afin de ne pas inciter d’autres pays de l’union à emprunter la même voie, mais elle ne peut aucunement imposer son rythme au Royaume-Uni qui reste maitre de son destin.

 
La dette britannique et la Livre Sterling sanctionnées

Si Moody’s, qui avait déjà privé le Royaume-Uni de son triple A, a confirmé la note du pays en l’assortissant toutefois d’une perspective négative, les agences Standard and Poor’s et Fitch n’ont pas tardé à dégrader la note de la dette britannique. La première prive le pays de son dernier Triple A en le dégradant de deux crans à AA, la seconde sanctionne Londres d’un cran de AA+ à AA, toutes deux avec une perspective négative, signifiant que la note pourrait encore baisser dans les prochains mois.

Sur le marché des changes, la Livre Sterling stabilise ses pertes autour de 10%, entre 1.30 et 1.35 USD, des niveaux inédits depuis 1985. Mais la longue période d’incertitudes qui commence pourrait davantage peser sur la devise, en particulier si la Banque d’Angleterre est contrainte d’assouplir davantage sa politique à travers des baisses de taux ou des injections massives de liquidité. Selon Deutsche Bank, le Sterling pourrait glisser jusqu’à 1.15 USD d’ici la fin de l’année.