A l’occasion d’un récent passage à Paris, Claudia Bernasconi, économiste Senior en charge des marchés émergents, et Rishabh Tiwari, gérant de portefeuille obligataire chez Swiss Life AM, ont accordé une interview à AOF.

Quelle est la situation macroéconomique globale des marchés émergents ?

Claudia Bernasconi :
Ces pays connaissent actuellement une reprise économique, réelle mais lente, liée à la sortie de récession du Brésil et de la Russie et à la stabilisation des cours des matières premières. Ce point est très important car, au plus fort de la crise des matières premières en 2015, le différentiel de croissance entre les pays émergents exportateurs de pétrole et les autres a été important, d'environ six points. Aujourd'hui, l'écart se resserre. Nous pensons que les marchés émergents dans leur ensemble pourraient atteindre une croissance de 5% environ en 2017 et 2018. Nous resterons loin des niveaux de croissance des années 2000, lorsqu'ils s'élevaient à 7-10%.

Comment expliquer ce ralentissement ?

C.B : Je vois deux raisons à ce phénomène. D'abord, même s'ils remontent grâce aux décisions prises par l'Opep (réduction de la production mondiale de pétrole), les cours du pétrole restent bas. Ensuite, l'autre élément est la persistance de problèmes politiques dans plusieurs pays émergents : en Russie, au Brésil, en Turquie, en Afrique du Sud.

Ces difficultés politiques et la perspective d'une hausse des taux aux Etats-Unis ne risquent-elles pas de faire dérailler la croissance ?

C.B :
L'environnement reste certes compliqué mais le sentiment des investisseurs est très positif envers les pays émergents car ils offrent une alternative pour trouver du rendement. De plus, les investisseurs, outre l'amélioration économique bien réelle, sont convaincus que les taux américains resteront bas encore longtemps. Une hausse de 1 point des taux de la Fed serait un signal négatif pour le crédit émergent. Or, nous en sommes loin puisque, pour l'instant, le rythme du resserrement monétaire est de 0,25 point à chaque fois.

Rishabh Tiwari : Le marché du crédit émergent est l'un de ceux qui a le mieux performé sur une année et il enregistre toujours une forte demande. Dans des pays comme la Chine, le problème se trouve plutôt du côté de l'offre puisque les obligations chinoises sont majoritairement détenues par des investisseurs locaux. En Amérique latine, le marché offre encore des opportunités pour créer de la valeur. Les valorisations y sont certes élevées mais relativement moins que dans d'autres régions.

Concernant plus particulièrement la Chine, quelle est votre analyse de la situation ?

C.B :
L'élément clé pour analyser ce qu'il se passe en Chine en ce moment est la tenue, dans le courant de l'année, du congrès du Parti communiste au cours duquel le président Xi Jinping devrait être reconduit. Dans ce contexte, les autorités vont vouloir donner une bonne image du pays et soutenir l'économie. Je pense donc que l'objectif d'une croissance de 6,5% sera tenu cette année, notamment grâce à la relance du crédit et de l'immobilier pilotée par le gouvernement. En revanche, je ne crois pas du tout à une réforme des entreprises publiques et je crains que la dette publique ne pèse encore longtemps.

L'autre pays émergent qui fait l'actualité ces dernières semaines est le Brésil. Qu'en dites-vous ?

R.T :
Au Brésil, nous avons vu dans l'évolution du marché obligataire le signe d'une grande déception des investisseurs. Ces dernières semaines, le risque de crédit (matérialisé par le cours des CDS) baissait fortement et régulièrement. Lorsque la crise politique a éclaté, et que le président de la République a été accusé de corruption, il est subitement remonté. Il n'y a pas encore de mouvement de panique mais les investisseurs se montrent très prudents. La situation est en " stand-by ".

C.B : D'un point de vue macro, l'économie brésilienne a commencé à se redresser début 2017 et la croissance pourrait atteindre 1% cette année. La grande inconnue est évidemment la situation politique : le président est fragilisé et la meilleure chose serait qu'il parte. Mais je crains qu'il s'accroche au pouvoir. Si la crise devait dégénérer vers une procédure de destitution, l'économie brésilienne risquerait de rechuter.

Propos recueillis par Edouard Lacoste Lagrange