MERCREDI 10 DÉCEMBRE : LE CESE A ADOPTE SON « RAPPORT ANNUEL SUR L'ÉTAT DE LA FRANCE EN 2014 »

Chaque année, le CESE élabore un rapport sur l'état de la France. En 2014, il s'appuie notamment sur les indicateurs de développement durable pour analyser les différents enjeux, tant économiques, sociaux qu'environnementaux au regard du ressenti de nos concitoyens et de leurs principales préoccupations.

Les tendances croissantes à l'individualisme et au repli sur soi poussent notre Assemblée à alerter les pouvoirs publicssur les fractures toujours plus importantes de notre société : un essoufflement économique et démographique du monde occidental, une polarisation due à un accroissement des inégalités exacerbées par la crise, un sentiment d'injustice poussant certains agents économiques au « ras-le-bol » fiscal ou encore des exclus toujours plus nombreux que ce soit en termes d'accès au logement ou au marché du travail. Le CESE a également souhaité, à travers une analyse prospective, explorer les mutations du travail ou des activités à l'horizon des 25 prochaines années.

Entre la fin des politiques de rigueur et l'acquittement de l'impôt sur le revenu ne serait-ce que de manière symbolique par chaque citoyen, notre Assemblée apporte des réponses pragmatiques à différents points de blocage identifiés.

Rapporté par Hélène Fauvel et confié à la section de l'économie et des finances, avec une contribution de la délégation à la prospective et à l'évaluation des politiques publiques, ce rapport sur l'état de la France a été adopté avec 174 votes, 167 pour et 7 abstentions, après avoir été soumis au vote de l'Assemblée Plénière du Conseil économique, social et environnemental.

Vers un essoufflement du monde occidental ?

La France pâtit à la fois d'un modèle économique trop dépendant des marchés financiers et de politiques de rigueur menées dans toute l'Union européenne, compromettant une reprise durable de la croissance du PIB. À cette crise économique et sociale s'ajoute une crise écologique majeure dont le changement climatique n'est qu'un des aspects et qui nous oblige à remettre en question un modèle de développement, reposant notamment sur une utilisation intensive des ressources naturelles, qui se raréfient.

Dans ce contexte de mutations, la crise qui se prolonge en France met en évidence des fragilités avérées depuis longtemps. La stagnation de l'activité et le recul de l'emploi accentuent les difficultés des entreprises et plus largement de la population, ce qui aggrave la fracture de notre société notamment entre ceux qui ont un emploi et ceux qui en sont privés, et conduit à un accroissement des inégalités. Le CESE considère que les politiques de rigueur menées en France et dans le reste de l'Europe ont créé un cercle vicieux d'auto-entretien des déficits via la stagnation économique et la perte de recettes fiscales et sociales. Au niveau communautaire, pour notre Assemblée, si la contrainte budgétaire impose de limiter les financements publics, elle ne doit pas interdire de mener une politique publique d'investissements d'avenir ciblés. L'État doit donc réaffirmer son rôle d'investisseur et de stratège par des plans pluriannuels aux objectifs clairs, suivis et indépendants des calendriers politiques.

Une des conséquences de la forte récession de 2009 et de la stagnation économique qui s'en est suivie a été la réduction du taux de marge des entreprises, taux au plus bas depuis 1985. La poursuite de cette dégradation financière obère la capacité des entreprises à construire des projets

pour l'avenir et les incertitudes économiques limitent leurs investissements. Ainsi, dans ce contexte et face au risque de déflation, le débat stéréotypé entre politiques de l'offre et de la demande n'est plus de mise. Il est nécessaire de redonner aux entreprises les moyens d'investir et d'embaucher, par exemple, en favorisant l'accès des PME et TPE aux crédits bancaires. De même, l'État doit agir en finalisant les 34 plans industriels nationaux et militer au niveau européen pour la mise en place d'une véritable politique industrielle offensive. Un nouveau mode d'industrialisation, plus durable peut également voir le jour, d'autant plus que la France dispose de nombreux avantages (main d'œuvre qualifiée, équipement de qualité) pour s'affirmer et regagner en compétitivité hors coût. Vers un nouveau mode de développement?

Plus généralement, pour le CESE, les atouts de la France lui permettraientd'évoluer vers un nouveau modèle de développement, surtout si la croissance économique reste à terme très faible. Cela passe nécessairement par une mise en valeur de filières innovantes et dynamiques déjà existantes, une meilleure reconnaissance des autres formes d'économies qui transforment nos modes d'organisation et d'entreprenariat (économie sociale et solidaire, économie collaborative etc.). Le potentiel de l'économie numérique et surtout les enjeux d'avenir liés à l'économie verte en font deux outils de développement indispensables pour permettre aux générations futures de vivre dans des conditions décentes, tout en profitant de ressources insuffisamment exploitées (à l'instar des territoires ultra-marins).

Vers une polarisation de la société française ?

En parallèle, l'accroissement des inégalités entraîne peu à peu une polarisation de notre société. La France est le troisième pays au monde àcompter autant de millionnaires, ces derniers bénéficiant d'un revenu en moyenne 75 fois plus élevé que 90 % des ménages français. Cette hausse des inégalités est en partie due à la concentration des revenus du patrimoine, alors que la progression du chômage tout comme celle du sous-emploi, ont entraîné la paupérisation progressive des populations les plus fragiles et d'une partie des classes moyennes. Ainsi, en 2014, être titulaire d'un emploi n'est plus un rempart suffisant contre la précarité et l'ascenseur social ne fonctionne plus.
Cette situation, des plus alarmantes, favorise les tendances à l'individualisme et à la méfiance tant vis-à-vis des acteurs publics tenus pour responsables de cette situation que des autres citoyens. L'ensemble de l'appareil politique est considéré comme éloigné des préoccupations réelles des Français, cette défiance étant entretenue en partie par un manque de lisibilité et de stabilité de l'action publique.

Restaurer la place de l'impôt sur le revenu dans le dispositif fiscal

Dans un contexte de crise pesant sur le pouvoir d'achat de la grande majorité de nos concitoyens, la plupart rejettent les efforts exigés d'eux à travers les prélèvements obligatoires. Les récentes augmentations de la fiscalité, faisant suite à une décennie de moins-disant fiscal, exacerbent ce refus de l'impôt.
Une meilleure acceptation du niveau d'imposition passe par une réelle prise en compte des facultés contributives et une plus grande progressivité. Or, si la fiscalité indirecte est moins visible et donc moins contestée, elle reste plus inégalitaire. Pour un impôt plus juste, le CESE préconise donc de favoriser l'imposition nationale directe (avec un impôt sur le revenu plus progressif et payé par tous les citoyens sans exception) par rapport à l'imposition indirecte (TVA entre autres). Concernant les entreprises, l'inflation et l'instabilité des normes fiscales pénalisent moins les grands groupes que les PME et TPE, quiont plus de difficultés àaccéder au crédit ou à recourir à l'optimisation fiscale. Une stabilisation des normes fiscales s'impose, tant la superposition de différents dispositifs a abouti au fil du temps à rendre la fiscalité totalement illisible, sans parler du manque à gagner en termes de recettes pour l'Etat. À titre d'exemple, le projet de loi de finances
2015 fait état de 453 dépenses fiscales pour un coût, en progression par rapport à 2014, de 81,9 Md€

(hors CICE) soit plus que le rendement attendu de l'impôt sur le revenu (69,5 Md€). Il est donc nécessaire d'évaluer l'ensemble des dispositifs dérogatoires et de ne conserver que ceux dont l'efficacité économique et sociale est avérée.
Enfin, le sentiment d'injustice ressenti par un nombre croissant de nos concitoyens est exacerbé par le montant des fraudes sociales et fiscales, estimé entre 50 et 80 milliards d'euros par an, à rapprocher des 80 milliards d'euros de déficit public pour 2014. Notre Assemblée préconise donc de lutter plus efficacement contre la fraude fiscale et sociale en calibrant les moyens alloués aux administrations financières et fiscales à la hauteur des enjeux et en allant plus loin au niveau européen dans le cadre d'une lutte commune contre l'évitement fiscal. De manière générale, une plus grande harmonisation communautaire permettrait de mettre un terme à cette course au moins disant fiscal et social, à laquelle se livrent les entreprises afin de rester compétitives, et dont la France est la grande perdante.

Un rôle déterminant des acteurs publics pour endiguer la crise du logement

Malgré toutes les mesures mises en œuvre, la crise du logement et celle du secteur du bâtiment demeurent d'une grande acuité en 2014, voire s'aggravent en raison de la mauvaise conjoncture économique. Une politique de la ville inadaptée, des logements au prix trop élevé ou trop lointains, énergétivores, sont une cause de précarité importante. Le logement se retrouve ainsi au cœur des préoccupations des Français particulièrement dans les zones à fortes tensions. Le CESE considère que le problème criant du déficit en logementset les difficultés rencontrées par le secteur de la construction nécessitent que l'Etat cesse de se désengager au fil des années. Une action forte des acteurs publics est attendue sur l'ensemble des territoires (France métropolitaine mais également en Outre-Mer où la situation du mal-logement est extrêmement préoccupante), notamment en termes de construction de logements sociaux et de développement d'un habitat intermédiaire entre des zones d'habitations individuelles très consommatrices en foncier et les grands ensembles urbains à l'image dégradée. La rénovation des logements existants, pour en améliorer l'efficacité énergétique ou les adapter aux besoins spécifiques des personnes âgées, doit être une priorité afin d'éviter la transmission aux générations futures d'un patrimoine obsolète, dégradé et inadapté. En parallèle, le CESE encourage la densification urbaine afin de limiter l'artificialisation des sols (la progression de l'espace urbain sur des espaces naturels) : un objectif réaliste pourrait être de réduire d'au moins 50 % la surface annuelle artificialisée d'ici 2025.

Les évolutions du travail (ou activités) dans une perspective de moyen terme Le monde du travail est à l'aube de mutations majeures, que celles-ci soient liées aux changements nécessaires face aux problématiques rencontrées depuis déjà plusieurs décennies (chômage de masse, déficit des comptes sociaux, etc.) ou en raison d'évolutions technologiques, qui transformeront en profondeur notre société et nos modes de vie.

Travaillerons-nous encore en 2030 ? Les robots remplaceront-ils les hommes ? Le CDI restera-t-il le modèle dominant ? Telles sont, par exemple, les questions que notre Assemblée s'est posées à travers 4 scénarios prospectifs. Les acteurs publics sont confrontés dès aujourd'hui à des choix déterminants pour l'avenir ; repousser ces choix ou ne pas en faire conduirait à l'impasse, voire à terme pousserait la France au bord du chaos. Le CESE a pris pour parti d'envisager deux alternatives diamétralement opposées : restaurer la compétitivité à tout prix en levant les contraintes pesant sur l'emploi ou créer un nouveau contrat social incluant une nouvelle répartition des richesses. Ces deux scénarios comportent chacun leurs limites mais permettent de tirer un certain nombre d'enseignements à destination des dirigeants de notre pays.

Le travail reste une valeur forte et structurante pour l'ensemble des Français mais doit évoluer pour mieux concilier tant leurs aspirations, à savoir une meilleure articulation de leurs temps de vie professionnelle et privée, de la pluriactivité, des transformations induites par les nouvelles technologies, que les tendances à l'exclusion du marché du travail telles que le sous- emploi, la précarisation ou encore et toujours le chômage de longue durée.

Ces scénarios ont à la fois une fonction d'alerte sur les risques de dualité dans le monde du travail voire de dislocation sociale mais démontrent surtout qu'il est encore possible, pour notre pays, d'offrir aux générations futures un avenir professionnel souhaitable et non subi.

«Les perspectives incertaines de sortie de crise nous imposent d'imaginer un nouveau modèle économique plus respectueux des ressources naturelles et de l'être humain, fondé sur le soutien aux investissements ciblés permettant notamment la transition énergétique et sur des politiques redistributives ambitieuses. La France dispose de nombreux atouts pour développer ce nouveau modèle tourné vers des secteurs d'avenir. Mais prioritairement, il est urgent d'accorder enfin à l'humain une place centrale dans l'économiesi nous voulons maintenir la cohésion sociale au sein de notre pays », résume Hélène Fauvel.

Contacts presse : Victor BOURY Emilie HUMANN

01.80.50.53.14 / 06.61.34.22.22 01.44.69.54.05 / 07.77.26.24.60 victor.boury@clai2.comemilie.humann@clai2.com

distribué par