"Quel bilan faites-vous de l’évolution des actions de la zone euro à l’issue du premier semestre ?
A fin juin, l’Eurostoxx 50 a gagné 4,1% sur les six premiers mois de l’année. Cette performance est honorable. Cependant elle cache de vives disparités entre pays du nord et pays du sud de la zone euro. Alors que le Dax enregistre +0,1%, l’indice Ibex de la bourse espagnole a grimpé de plus de 10%. Cet écart s’explique en grande partie par la détente des taux des Etats du sud considérés comme extrêmement vulnérables en plein cœur de la crise des dettes dans la région. Alors que le taux à dix ans espagnol se situait à 4,18% fin 2013, il est descendu à 2,66% aujourd’hui. Le taux à dix ans italien est passé de 4,11% à 2,73%. Le spread par rapport au taux à dix ans allemand est à un plus bas depuis trois ans.
En conséquence de ce mouvement, la préférence des investisseurs a porté sur les sociétés capitalistiques ayant un bilan endetté. En cela les utilities espagnoles et italiennes ont tiré leur épingle du jeu.  Nous avons au sein de notre société un outil qui permet de surveiller le parcours d’une vingtaine de sociétés. Ces utilities ressortent largement en tête du classement avec une performance de 18%.

Quels ont été les autres plus importants performeurs ?
Il est suivi du secteur automobile qui a connu une croissance de +14,3% et du secteur des concessions qui a, quant à lui, réalisé une performance de +14,2%.

Quels sont les derniers du classement ?
Nous trouvons à la fin du classement le secteur du luxe (-3,9%), celui de la distribution (-3,7%) et celui des biens d’équipements (-3,4%). Ces secteurs ont été négativement impactés soit par l’impact pénalisant des changes avec la dépréciation des monnaies émergentes, soit par des avertissements sur résultats, soit les deux. Cela a notamment été le cas de sociétés comme ABB, Metro ou Nexans

Quel regard portez-vous sur les prévisions de hausse des bénéfices ?
Autant les estimations de progression des bénéfices résistent plutôt bien aux Etats-Unis, autant la situation est plus compliquée Europe. Les attentes étaient en début d’année trop élevées par rapport à la situation macroéconomique et à la situation des entreprises. Un processus de révision négative d’envergure a été entamé et est toujours d’actualité.

Nous sommes d’avis que nous devrions encore avoir des réévaluations à la baisse à l’issue de la publication des résultats semestriels cet été. Ce sera la première fois que la majorité des sociétés européennes feront état à la fois de leur chiffre d’affaires, mais aussi de leurs profits. Les répercussions de l’effet de change du fait d’une forte exposition aux pays émergents devraient se faire plus lourdement ressentir sur la rentabilité des sociétés. Les premiers concernés seront les grands groupes internationaux, qui ont une base de coûts significative en euro et qui vendent dans les pays émergents, à l’instar de ceux qui évoluent dans le luxe, l’agroalimentaire, ou encore les spiritueux. D’autres cas spécifiques existent, comme Dassault Systèmes dont la dépréciation du yen face à l’euro devrait lui coûter un point de marge.

Nous ne sommes pas à l’abri de déceptions ?
Jusque-là les analystes et investisseurs ont cette tendance à l’esprit mais ont du mal à apprécier son ampleur. Des déceptions pourraient avoir lieu en particulier dans les zones géographiques où la reprise s’avère moins vigoureuse que prévu. Par exemple, les bénéfices par action sont encore pour l’instant attendus en croissance de 20% en Espagne pour l’année 2014.

Quelles sont vos attentes sur ce front ?
A ce stade, le consensus table sur une hausse des bénéfices de 12% en Europe en 2014. Nous attendons plutôt 7% ou 8%.  Ce faisant, nous devrions observer une forte dichotomie entre la première et la seconde partie de l’année, autrement dit un second semestre bien meilleur que le premier.

Quelle performance cela pourrait-il nous donner pour l’Eurostoxx ?
Le PE des actions de la zone euro est actuellement d’environ 13 à 14 fois les bénéfices des 12 prochains mois, soit un point de moins que ce que l’on observe sur le S&P 500. Si l’on intègre une progression des profits de 7%, une légère revalorisation des indices européens sur le niveau des indices US et le maintien d’un environnement bas durable dans la zone euro, l’EuroStoxx présente un potentiel d’environ 10%.

Cette expansion des multiples serait donc générée par l’arrivée de flux supplémentaires abondants sur le segment de marché ?
En partie tout du moins. Du fait de la persistance de taux bas encore longtemps, de nombreux investisseurs, et notamment les asset managers, n’auront d’autres choix que de continuer à réallouer leurs fonds en réduisant leur poche obligataire et en se positionnant sur plus d’actions pour obtenir un meilleur rendement.

Pensez-vous que les opérations de fusions-acquisitions pourraient être un catalyseur ?
Le contexte est porteur en Europe pour de telles opérations. La question à se poser est de savoir si celles-ci sont motivées par une croissance organique atone ou par le retour d’un cycle économique plus favorable. J’opterai plutôt pour la première hypothèse. Aussi, ces opérations devraient continuer à un rythme soutenu mais ne devraient pas s’accélérer.

Sur ce terrain, les utilities devraient tirer leur épingle du jeu. La baisse des taux, notamment en Italie ou en Espagne, pourrait profiter à ces entreprises à très forte intensité capitalistique. De plus, nous avons pu voir peu de mouvements dans ce secteur au cours des six premiers mois de l’année. Dans certains pays, comme l’Italie, un morcellement excessif est favorable à un phénomène de concentration.

Avec quel sentiment débutez-vous le second semestre ?
Nous sommes d’avis que le second semestre devrait être plus propice aux secteurs très en retard et qui devraient connaître un rattrapage comme le luxe. L’effet de change devrait être moins pénalisant qu’au premier semestre. Des sociétés comme Ferragamo, voire Tod’s, et Moncler qui ont été mises à mal par la restructuration de leur réseau de distribution en Italie devraient retrouver l’engouement du marché. Dans un autre secteur, mais en suivant la même logique liée au change, Dassault Systèmes et Edenred devraient également pouvoir attirer les investisseurs.

Vous estimez donc que la trame de fond de la baisse des taux d’intérêt, qui a guidé les investisseurs au premier semestre, devrait laisser place à celle de l’atténuation de l’effet de change ?
Tout à fait.

Dans une autre optique, le secteur de l’aéronautique devrait regagner de l’intérêt ?
Les inquiétudes des investisseurs portant sur le devenir des sociétés à long terme, pourraient s’atténuer et laisser place à une vision positive des fondamentaux à court et moyen terme. Les sociétés ont trois à cinq ans de commandes devant eux. Les bénéfices sont censés augmenter de 10% à 15%.

D’aucuns ont été surpris par l’arrêt du rallye des valeurs cycliques au cours de la première partie de l’année ?
Je ne suis pas étonné par la pause marquée dans le rallye des valeurs cycliques. Il ne faut pas oublier que les performances ont été exceptionnelles en 2013. Le secteur des médias a par exemple bondi de 70%, celui de la technologie de 56%, celui de l’automobile de 46% et celui de l’assurance de 35%. La thématique a donc été en grande partie jouée l’année dernière. Or les meilleurs paris sur un an sont rarement les meilleurs l’année suivante. Généralement le marché aime changer de thème.

Vous restez sceptique sur l’opportunité de se placer sur les cycliques au second semestre ?
Effectivement. Il faut que la reprise macroéconomique gagne véritablement de l’élan, surtout en Europe. Quelques exceptions sont à noter néanmoins, comme le secteur automobile, qui pourrait encore surprendre positivement malgré le chemin réalisé. Un autre secteur qui pourrait être plébiscité est celui des parapétrolières qui a particulièrement souffert ces derniers mois. Toutefois le momentum demeure compliqué à moyen-long terme.

Quels principaux risques identifiez-vous pour les prochains mois ?
Les valorisations étant élevées, la marge d’erreur est limitée. La volatilité est au plus bas depuis 6 mois. Toute petite mauvaise nouvelle pourrait engendrer de fortes perturbations sur le marché.
Hormis les zones d’ombre de nature géopolitique qui pourraient raviver les tensions sur le prix de certaines matières premières comme le pétrole et ainsi nuire sérieusement à certaines économies, il ne faudrait pas que les révisions des bénéfices par actions soient trop sévères. Les mois à venir constituent une période clé pour déterminer s’il y a des raisons d’espérer une embellie de l’activité des entreprises ou pas.
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