par Alistair Scrutton

KANGERLUSSUAQ, Groenland, 26 mars (Reuters) - Tomates, poivrons, herbes aromatiques... Nous ne sommes pas dans le potager d'un pays tempéré, mais au Groenland, au-delà du cercle polaire, où une agriculture naissante tire parti du réchauffement climatique.

"Ça pousse plus vite. Chaque année, nous essayons de nouvelles choses", se félicite Kim Ernst, le chef danois du Roklubben, un restaurant sur la rive d'un lac gelé, voisin d'une base américaine désaffectée datant de la Guerre Froide.

"Je suis arrivé ici en 1999 et personne n'aurait rêvé faire ça. Mais, maintenant, l'été est plus chaud et plus long", dit-il, évoquant les quelques fraises qu'il est parvenu à faire pousser et qui ont fait sensation sur les tables royales où elles ont été servies.

Nous sommes en mars et le thermomètre affiche -20°C, mais le soleil brille et l'ambiance est presque printanière autour de la serre de Kim Ernst et dans son potager, où la vie reprendra ses droits dans quelques mois.

Quelques centaines de kilomètres plus au sud, des agriculteurs font leur propre foin et les élevages de moutons gagnent en superficie. A Knuut, la capitale du Groenland, on trouve même des légumes cultivés sur place en été.

Le production reste modeste, mais les autorités viennent de mettre sur pied une commission chargée de réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour l'augmenter en tirant parti du réchauffement, de façon à réduire des importations coûteuses.

La production de pommes de terre du Sud, qui a doublé en quatre ans, a d'ores et déjà atteint les 100 tonnes en 2012 et celle de légumes pourrait connaître une croissance identique en un an seulement, selon les données du gouvernement autonome.

Certains responsables espèrent que le réchauffement permettra à l'île, qui représente un quart de la superficie des Etats-Unis, de s'affranchir de sa dépendance envers le Danemark.

IMPATIENTS

Seule la sécurité et la défense relèvent encore de Copenhague, mais les partis locaux militent pour une indépendance totale. La moitié du budget groenlandais, soit près de 500 millions d'euros, provient toutefois de l'ancienne puissance coloniale.

"Je m'attends à de grands développements dans l'élevage du mouton et dans l'agriculture. Ce pourrait être un supplément important pour notre économie", souligne le Premier ministre, Kuupik Kleist.

Outre l'agriculture, la fonte de l'immense calotte glaciaire a ouvert la voie à la prospection pétrolière et minière.

Les locaux ne se lassent pas de raconter qu'à son arrivée, au Xe siècle, le chef norvégien Erik le Rouge avait baptisé l'île "Terre verte" pour inciter les siens à s'y installer. On sait toutefois que le climat y était alors plus clément, ce qui a permis aux Vikings d'y vivre pendant un demi-millénaire.

Aujourd'hui, la terre n'est certes pas d'une fertilité exubérante, mais le Groenland ne compte que 57.000 âmes.

"Il y a d'immenses zones dans le sud du Groenland où on peut faire pousser des choses. Ce sont les pommes de terre qui s'en sortent le mieux. Le choux prospère également très bien", souligne Josephine Nymand, chercheuse à l'Institut groenlandais des ressources naturelles.

Sten Erik Langstrup Pedersen, propriétaire d'une ferme biologique sur un fjord proche de Nuuk, a commencé à planter des pommes de terre en 1976. Il sème aujourd'hui deux semaines plus tôt qu'il y a dix ans et récolte trois semaines plus tard.

Sa terre donne en outre 23 variétés de légumes, huit de plus qu'en 2003. Lui aussi produit des fraises qu'on trouve sur les meilleurs tables de Copenhague, mais il reste sceptique quant au développement de l'agriculture locale.

"Les Groenlandais sont des gens impatients. Quand ils voient un phoque, ils veulent le tuer tout de suite. Ils ne vont pas pouvoir attendre que les légumes poussent", dit-il. (Jean-Philippe Lefief pour le service français, édité par Gilles Trequesser)