* Première comparution de quatre suspects devant la justice

* Deux ont été inculpés, un troisième reste en garde-à-vue

* Le quatrième suspect a été libéré

* La cellule préparait au moins un attentat à la bombe majeur

* L'ancien "imam" de Ripoll désigné comme l'instigateur

* L'enquête se poursuit, y compris en Belgique et en France (Actualisé tout du long avec précisions, informations venant du Maroc)

par Adrian Croft

MADRID, 23 août (Reuters) - La cellule islamiste derrière les attaques de la semaine dernière à Barcelone et Cambrils en Catalogne préparait un ou plusieurs gros attentats à la bombe, peut-être contre des églises, a raconté l'un des quatre membres encore en vie du groupe qui ont comparu mardi pour la première fois devant la justice.

Ce suspect, Mohamed Houli Chemlal, a déclaré que le groupe, constitué principalement de jeunes Marocains, était dirigé par un imam qui les conseillait pour le djihad et qui leur disait que "le martyre est une bonne chose selon le Coran", indique-t-on de source judiciaire.

A l'issue une longue journée d'audience, Mohamed Houli Chemlal et un autre suspect, Driss Oukabir, qui a loué la camionnette utilisée pour l'attaque de Barcelone, ont été inculpés d'appartenance à une organisation terroriste et de meurtre et placés en détention provisoire. Mohamed Houli Chemlal a en outre été inculpé de possession d'explosifs.

Le juge Fernando Andreu a prolongé la garde-à-vue d'un troisième suspect, Salh El Karib, qui tient un café internet à Ripoll, petit village au pied des Pyrénées d'où étaient originaires plusieurs membres de la cellule. Un quatrième suspect, Mohamed Aalla, propriétaire de l'Audi utilisée lors de l'attaque à Cambrils, a été libéré sous contrôle judiciaire.

Chemlal est le seul des quatre suspects à avoir reconnu avoir eu un rôle dans les attentats de Barcelone et Cambrils, indique-t-on.

Les quatre hommes sont présentés comme les seuls membres encore en vie d'une cellule de douze hommes responsable des deux attentats qui ont fait 15 morts. Les huit autres membres de la cellule ont trouvé la mort ou ont été abattus lors de la préparation ou de l'exécution des attaques.

L'imam Abdelbaki Es Satty, le "cerveau" présumé des attaques, est mort dans l'explosion d'une maison à Alcanar, au sud-ouest de Barcelone, utilisée par le groupe pour fabriquer des explosifs la veille de l'attentat sur les Ramblas de Barcelone, a indiqué la police. Agé de 44 ans, il avait effectué de la prison pour trafic de drogue.

BILLETS D'AVION POUR BRUXELLES

Selon l'ordonnance rendue par le juge Andreu, la police a retrouvé plusieurs billets d'avion à destination de Bruxelles émis par la compagnie aérienne espagnole Vueling au nom d'Abdelbaki Es Satty dans les ruines de la maison détruite. Les enquêteurs ont aussi saisi un document de l'Etat islamique, qui a revendiqué les attaque de Barcelone et Cambrils.

Une note en arabe a également été trouvée. Elle était titrée : "Courte lettre des soldats de l'Etat islamique dans le pays d'Al Andalous pour les croisés, les haïssables, les pécheurs, les injustes, les corrupteurs."

Al Andalous était le nom de l'Espagne au Moyen-Age quand une grande partie du pays était sous domination musulmane.

Les billets d'avion incitent à se tourner vers la Belgique où un certain nombre d'attentats islamistes ont été préparés ou réalisés.

Les enquêteurs ont également retrouvés des factures d'achats effectués par le groupe début août, notamment 500 litres d'acétone, ainsi que d'autres matériaux susceptibles d'être utilisés dans la fabrication d'explosifs, lit-on dans l'ordonnance du juge.

Jeudi dernier à 21h26 (19h26 GMT), quelques heures après l'attaque sur les Ramblas, ils ont acheté quatre couteaux et une hache qui ont été utilisés dans l'opération de Cambrils.

Mohamed Houli Chemlal a par ailleurs déclaré au magistrat que les éléments devant servir à la confection d'explosifs avaient été achetés en Espagne, dans des pays étrangers et sur internet, dit-on encore de source judiciaire.

Il a dit au juge qu'il regrettait d'avoir participé à la cellule et a indiqué que l'imam Es Satty en était le chef. Le groupe avait prévu de commettre "un ou plusieurs" attentats à l'explosif, a dit encore Chemlal.

Il a dit ne pas savoir de façon certaine quelles étaient les cibles visées mais il a évoqué des attentats contre des églises et des monuments, indique-t-on de source judiciaire.

Selon le journal El Mundo, l'église de la Sagrada Familia de l'architecte Antonio Gaudi, monument emblématique de Barcelone, pourrait avoir été une cible.

Chemlal a raconté que la cellule fabriquait des explosifs et prévoyait d'utiliser des bombonnes de gaz pour fabriquer des bombes plus puissantes, grâce à des modes d'emploi trouvés sur internet.

COUPURES AU VISAGE

Le projet a échoué avec la mort de l'imam et l'explosion de la maison à Alcanar mercredi dernier. Un autre homme est également mort dans l'explosion. Les survivants ont alors décidé de modifier leurs plans et de se rabattre sur un moyen plus simple, le véhicule-bélier.

La police a retrouvé 120 bouteilles de butane à Alcanar, ainsi que des traces de TATP, une substance explosive instable, qui peut être produite par des produits ménagers.

Chemlal a été arrêté après avoir été blessé dans l'explosion d'Alcanar. Le jeune homme de 21 ans est arrivé au tribunal vêtu d'un pyjama d'hôpital, la main bandée et des marques de coupures au visage.

Driss Oubakir et Mohamed Aalla démentent avoir participé aux attaques. Salh El Karib a payé un billet à Driss Oubakir au départ du Maroc mais dit l'avoir fait parce que le frère d'Oubakir n'avait pas de carte de crédit et qu'il l'avait remboursé.

Au Maroc, dans le village reculé de Tangaya, dans les montages du Rif, des membres des services de sécurité sont stationnés près de la maison de la famille Es Satty et empêchent la presse d'approcher.

Les habitants de ce petit village entouré de plantations de cannabis qui ont bien voulu parler ont indiqué qu'Es Satty était parti il y a plus de 15 ans et n'était pas revenu ces derniers temps.

"L'imam est parti il y a très longtemps", a déclaré un homme sous le sceau de l'anonymat. "Depuis qu'il avait été condamné en Espagne (...), il ne venait plus au village, mais il rencontrait sa famille à Tanger."

En France, où l'Audi utilisée à Cambrils a été flashée en excès de vitesse en région parisienne quelques jours avant les attentats, le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, a déclaré que la cellule djihadiste était inconnue des services de renseignement français.

Citant une source proche de l'enquête, BFM TV rapporte que deux membres de la cellule djihadiste, Younès Abouyaaqoub et un des cinq assaillants de Cambrils, sont passés par la région parisienne le week-end précédant les attaques.

(Avec Cyril Camu à Paris, Julien Toyer, Inmaculada Sanz, Jesus Aguado et Carla Raffin à Madrid, Zakia Abdennebi au Maroc; Henri-Pierre André, Eric Faye, Tangi Salaün et Danielle Rouquié pour le service français)